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samedi, 13 mars 2010

Tout sur Céline, chaque jour...

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Tout sur Céline, chaque jour:

le Bulletin célinien n°317/mars 2010

Le Bulletin célinien n°317 - mars 2010

Au sommaire:
- Marc Laudelout :
Bloc-notes
- M. L. : « Céline dans Tovaritch » (suite)
- Robert Le Blanc & Étienne Nivelleau : « Autour de la correspondance »
- *** : « Trois céliniens commentent Lettres »
- Pierre Lalanne : « Albert Paraz, l’homme-orchestre »
- Albert Paraz : « D’un château l’autre » [1957]
- Jacques Aboucaya : « Paraz à découvrir »
- *** : « Albert Paraz et L’Express »
- P.-L. Moudenc : « La correspondance de Céline à Paraz ».

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien
B. P. 70
B 1000 Bruxelles 22
Belgique

C’est un documentaire attrayant que la Société Européenne de Production a réalisé sur Céline à la demande du Conseil général des Hauts-de-Seine(1). Il s’intègre dans une série de portraits de personnalités ayant vécu dans cette partie de la petite couronne d’Île-de-France. Ce ne sont pas seulement les dix dernières années de la vie de l’écrivain qui sont traitées dans ce film, même si elles sont naturellement privilégiées. Au moyen d’images d’archives, c’est tout l’itinéraire de l’écrivain qui est retracé. L’ensemble, de belle facture, s’ouvre par des prises de vues aériennes, excusez du peu, de la « Villa Maïtou ». Autre intérêt du film : on peut y voir une belle brochette de « céliniens historiques », François Gibault, Henri Godard, Philippe Alméras, Frédéric Vitoux — plus le benjamin de l’équipe, David Alliot. Chacun, dans le style qui lui est propre, évoque l’homme et l’œuvre. Des témoins interviennent également : Christian Dedet (écrivain et médecin comme lui), Geneviève Frèneau (sa voisine à Meudon), Judith Magre (élève du cours de danse de Lucette), Madeleine Chapsal (qui réalisa la fameuse interview que l’on sait). Des extraits des trois entretiens télévisés (Dumayet, Parinaud, Pauwels) sont égrenés tout au long du film. De la belle ouvrage assurément.
Fallait-il choisir comme conseiller historique Fabrice d’Almeida, auteur à succès d’un livre sur La vie mondaine sous le nazisme ? Dans ce film, il ne craint pas d’affirmer que, sous l’Occupation, « l’antisémitisme de Céline contribue et va dans le sens de l’extermination qui est en cours ». Pour être sûr d’être bien compris, il ajoute : « Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : Céline a même dit qu’il fallait liquider les juifs ». C’est, on le voit, aller beaucoup plus loin que tous les céliniens très critiques à l’égard du pamphlétaire. Qu’ils l’acceptent ou non, ceux qui interviennent dans le film se voient ainsi indirectement associés aux affirmations de cet historien. L’un de ceux-ci évoqua jadis « le problème du sens à donner au langage paroxystique célinien »(2). Tout le problème est là, en effet. C’était à propos de la fameuse lettre à Alain Laubreaux parue dans Je suis partout en 1941. Céline concluait de la sorte : « Cocteau décadent, tant pis ! Cocteau, Licaïste, liquidé ! ». Si on met cette lettre en parallèle avec celle que Céline adresse à Cocteau lui-même peu de temps après, la perspective n’est plus exactement la même(3).
Il faut noter que ce documentaire va connaître une importante audience puisqu’il est d’ores et déjà commercialisé sous la forme d’un coffret DVD. Il va en outre être diffusé sur trois chaînes de télévision(4). C’est dire le retentissement qu’auront les dires d’Almeida. On peut penser que cette question épineuse aurait méritée d’être plutôt traitée par les biographes de l’écrivain(5).

Marc LAUDELOUT


Notes
1. Céline à Meudon (2009). Réalisation : Nicolas Craponne. Producteur : Société Européenne de Production à la demande du Conseil général des Hauts-de-Seine pour la collection « Un lieu, un destin ». Durée : 52’.
2. Philippe Alméras, « Quatre lettres de Louis-Ferdinand Céline aux journaux de l’Occupation », French Review, avril 1971. Repris dans Philippe Alméras,
Sur Céline, Éditions de Paris, 2008, pp. 11-23.
3. Lettre de Céline à Jean Cocteau in Cahiers Céline 7 (« Céline et l’actualité, 1933-1961 »), Gallimard [ Les Cahiers de la Nrf ], 2003, pp. 230-231.
4. Les chaînes « TV5 Monde », « Histoire » et France 5. Par ailleurs, le coffret a été envoyé dans les établissements scolaires, les bibliothèques et médiathèques des Hauts-de-Seine. Il est vendu (45 €) dans les musées départementaux. Les autres écrivains évoqués dans cette collection sont Chateaubriand, Charles Péguy et Paul Léautaud. Le DVD seul sera vendu 12 €. Le film peut être vu sur le site www.vallee-culture.fr ainsi que sur le blog
http://lepetitcelinien.blogspot.com.
5. Sur ce sujet, voir, par exemple, ce qu’écrit Claude Duneton : « Il est bien malaisé d’apprécier sans passion, et sur de justes balances, l’état d’esprit qui régnait à l’époque. Malgré tout ce que l’on a pu dire ensuite, le public – dont Céline faisait partie – n’avait guère le moyen de connaître, sur le moment même, les horreurs qui étaient en train de se commettre dans les camps nazis. Que l’on fût pro-hitlérien ou résistant, personne ne pouvait imaginer à quelles lugubres extrémités conduisait la haine raciale… » (
Bal à Korsør. Sur les traces de Louis-Ferdinand Céline, Grasset, 1994).

samedi, 27 février 2010

Michel Tournier: parcours philosophique

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

Michel Tournier: parcours philosophique

 

tournier.jpgMichel Tournier est un écrivain qui compte et son œuvre peut être abordée selon de multiples perspec­tives. Jean-Paul Zarader a choisi celle de la philosophie dans une étude intitulée Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier: un parcours philosophique. Il donne ainsi ses raisons: «Cet ouvrage a voulu prendre au sérieux l'affirmation de Michel Tournier: “Je n'écris pas pour les enfants, j'écris de mon mieux. Et quand j'approche mon idéal, j'écris assez bien pour que les enfants aussi puissent me lire”. On s'est donc appliqué a lire Vendredi ou la vie sauvage  et à en esquisser un commentaire, sans ja­mais se référer à cette première version que constitue Vendredi ou les limbes du Pacifique. Quant au caractère philosophique du commentaire, il résulte d'une simple évidence: c'est que nul ne peut, le voudrait-il, se renier. Or Tournier est philosophe de formation et, loin de renier la philosophie, il n'a ja­mais cessé de la considérer comme la racine de son œuvre littéraire». Cet essai est suivi d'un entretien inédit avec Michel Tournier dont nous citerons un des propos: «Le principal enseignement de l'ethnographie, qui débouche sur l'idéalisme, est qu'il n'y a pas la Civilisation et le reste des sauvages, mais des civilisations, parmi lesquelles la nôtre, celle de la France de 1995 qui ne sera pas tout à fait la même que celle de la France de 1996. Et puis, il y a la civilisation des Eskimos, des Pygmées, des Papous... Il faut étudier ces civilisations. Le drame, c'est que la civilisation occidentale moderne a pour effet de détruire toute autre civilisation qui l'approche. Ainsi les Eskimos, qui avaient une civilisation solide et cohérente dans un milieu très défavorable, se sont effondrés dès lors que les Américains les ont touchés» (Jean de Bussac).

 

Jean-Paul ZARADER, Vendredi ou la voie sauvage de Michel Tournier: un parcours philosophique, Editions Vinci, 1995, (135-141, rue du Mont-Cenis, F-75.018 Paris), 222 pages, 110 FF.

samedi, 20 février 2010

Céline vient de débarquer

celine_1_louis-ferdinand-celine-0045_1262086184.jpgCéline vient de débarquer...

Lucien Rebatet

Ex: http://zentropa.splinder.com/

"Quand un matin du début de novembre 1944, le bruit se répandit dans Sigmaringen : « Céline vient de débarquer », c’est de son Kränzlin que le bougre arrivait tout droit. Mémorable rentrée en scène. Les yeux encore pleins du voyage à travers l’Allemagne pilonnée, il portait une casquette de toile bleuâtre, comme les chauffeurs de locomotive vers 1905, deux ou trois de ses canadiennes superposant leur crasse et leurs trous, une paire de moufles mitées pendues au cou, et au-dessus des moufles, sur l’estomac, dans une musette, le chat Bébert, présentant sa frimousse flegmatique de pur parisien qui en a bien connu d’autres. Il fallait voir, devant l’apparition de ce trimardeur, la tête des militants de base, des petits miliciens : « C’est ça, le grand écrivain fasciste, le prophète génial ? » Moi-même, j’en restais sans voix.  Louis-Ferdinand, relayé par Le Vigan, décrivait par interjections la gourance de Kränzlin, un patelin sinistre, des Boches timbrés, haïssant le Franzose, la famine au milieu des troupeaux d’oies et de canards. En somme, Hauboldt était venu le tirer cordialement de ce trou, et Céline, apprenant l’existence à Sigmaringen d’une colonie française, ne voulait plus habiter ailleurs.

La première stupeur passée, on lui faisait fête. Je le croyais fini pour la littérature. Quelques mois plus tôt, je n’avais vu dans son Guignol’s Band qu’une caricature épileptique de sa manière (je l’ai relu ce printemps, un inénarrable chef d’œuvre, Céline a toujours eu dix, quinze ans d’avance sur nous). Mais il avait été un grand artiste, il restait un grand voyant.  Nous nous sommes rencontrés tous les jours pendant quatre mois, seul à seul, ou en compagnie de La Vigue, de Lucette, merveilleuse d’équilibre dans cette débâcle et dans le sillage d’un tel agité. Céline, outre sa prescience des dangers et cataclysmes très réels, a été constamment poursuivi par le démon de la persécution, qui lui inspirait des combinaisons et des biais fabuleux pour déjouer les manœuvres de quantités d’ennemis imaginaires. Il méditait sans fin sur des indices perceptibles de lui seul, pour parvenir à des solutions à la fois aberrantes et astucieuses. Autour de lui, la vie s’enfiévrait aussitôt de cette loufoquerie tressautante, qui est le rythme même de ses plus grands bouquins. Cela aurait pu être assez vite intolérable. Mais la gaité du vieux funambule emportait tout.

Le « gouvernement » français l’avait institué médecin de la colonie. Il ne voulait d’ailleurs pas d’autre titre. Il y rendit des services. Abel Bonnard, dont la mère, âgée de quatre-vingt-dix ans, se mourait dans une chambre de la ville, n’a jamais oublié la douceur avec laquelle il apaisa sa longue agonie. Il pouvait être aussi un excellent médecin d’enfants. Durant les derniers temps, dans sa chambre de l’hôtel Löwen, transformée en taudis suffocant (dire qu’il avait été spécialiste de l’hygiène !) il soigna une série de maladies intrinsèquement célinesques, une épidémie de gale, une autre de chaudes-pisses miliciennes. Il en traçait des tableaux ébouriffants.  L’auditoire des Français, notre affection le ravigotaient d’ailleurs, lui avaient rendu toute sa verve. Bien qu’il se nourrît de peu, le ravitaillement le hantait : il collectionnait par le marché noir les jambons, saucisses, poitrines d’oies fumées. Pour détourner de cette thésaurisation les soupçons, une de ses ruses naïves était de venir de temps à autre dans nos auberges, à l' « Altem Fritz », au « Bären », comme s'il n'eût eu d'autres ressources, partager la ration officielle, le « Stammgericht », infâme brouet de choux rouges et de rutabagas. Tandis qu'il avalait la pitance consciencieusement, Bébert le « greffier » s'extrayait à demi de la musette, promenait un instant sur l'assiette ses narines méfiantes, puis regagnait son gîte, avec une dignité offensée.

— Gaffe Bébert ! disait Ferdinand. Il se laisserait crever plutôt que de toucher à cette saloperie... Ce que ça peut être plus délicat, plus aristocratique que nous, grossiers sacs à merde ! Nous on s'entonne, on s'entonnera de la vacherie encore plus débectante. Forcément !

Puis, satisfait de sa manœuvre, de nos rires, il s'engageait dans un monologue inouï, la mort, la guerre, les armes, les peuples, les continents, les tyrans, les nègres, les Jaunes, les intestins, le vagin, la cervelle, les Cathares, Pline l'Ancien, Jésus-Christ. La tragédie ambiante pressait son génie comme une vendange. Le cru célinien jaillissait de tous côtés. Nous étions à la source de son art. Et pour recueillir le prodige, pas un magnétophone dans cette Allemagne de malheur ! (Il en sort à présent cinquante mille par mois chez Grundig pour enregistrer les commandes des mercantis noyés dans le suif du « miracle » allemand.)

Dans la vaste bibliothèque du château des Hohenzollern Céline avait choisi une vieille collection de la Revue des Deux Mondes, 1875-1880. Il ne tarissait pas sur la qualité des études qu'il y trouvait : « Ça, c'était du boulot sérieux... fouillé, profond, instructif... Du bon style, à la main... Pas de blabla. » C'est la seule lecture dont il se soit jamais entretenu devant moi. Il était extrêmement soucieux de dissimuler ses « maîtres », sa « formation ». Comme si son originalité ne s'était pas prouvée toute seule, magnifiquement.

De temps à autre, quand nous nous promenions tous deux sans témoin, le dépit lui revenait de sa carrière brisée, mais sans vaine faiblesse, sur le ton de la gouaille :
— Tu te rends compte ? Du pied que j'étais parti... Si j'avais pas glandé à vouloir proférer les vérités... Le blot que je me faisais... Le grand écrivain mondial de la « gôche »... Le chantre de la peine humaine, de la connarderie absurde... Sans avoir rien à maquiller. Tout dans le marrant, Bardamu, Guignol, Rigodon... Prix Nobel... Les pauvres plates bouses que ça serait, Aragon, Malraux, Hemingway, près du Céline... gagné d'avance... Ah ! dis donc, où c'est que j'allais atterrir !... « Maî-aître »... Le Nobel... Milliardaire... Le Grand Crachat... Doctor honoris causa... Tu vois ça d'ici !

Bien entendu, il ne fut pas question un seul instant d’employer Céline à une propagande quelconque, hitlérienne ou française. Moi-même, tout à fait indifférent aux bricolages « ministériels », je passai l’hiver à compulser les livres d’art du Château et à grossir le manuscrit de mon roman, les Deux Etendards.

Nous devions en grande partie ces privilèges à notre ami commun, le cher Karl Epting, qui avait dirigé l’Institut allemand à Paris, le vrai lettré européen, demeuré d’une francophilie inaltérable, même après les deux années de Cherche-Midi dont il paya.

Outre  cette amitié précieuse, la mansuétude de tous les officiers allemands était acquise à Céline. Et il la fallait très large, pour qu’ils pussent fermer leurs oreilles à ses sarcasmes. Car Louis-Ferdinand était bien le plus intolérant, le plus mal embouché de tous les hôtes du Reich. Pour tout dire, il ne pardonnait pas à Hitler cette débâcle qui le fourrait à son tour dans de si vilains draps. C’était même le seul chapitre où il perdît sa philosophie goguenarde, se fît hargneux, méchant. Par réaction, par contradiction, l’antimilitariste saignant du Voyage se recomposait un passé, une âme de patriote à la Déroulède. Ah ! l’aurai-je entendu, le refrain de son fait d’armes des Flandres, « maréchal des logis Destouches, volontaire pour une liaison accomplie sous un feu d’une extrême violence », et du dessin qui l’avait immortalisé à la première page de l’Illustré National.

– En couleurs… Sur mon gaye… Au galop, le sabre au vent… Douzième cuirassier !... Premier médaillé militaire sur le champ de bataille de la cavalerie française… C’est moi, j’ai pas changé. Présent !... qui c’est qui me l’a tiré ma balle dans l’oreille ? C’est pas les Anglais, les Russes, les Amerlos… J’ai jamais pu les piffer, moi les Boches. De les voir se bagotter comme ça partout, libres, les sales « feldgrau » sinistres, j’en ai plein les naseaux, moi, plein les bottes !

– Mais enfin, Louis, tu oublies. Ils sont chez eux, ici !

– J’oublie pas, j’oublie pas, eh ! fias ! C’est bien la raison… Justement… Les faire aux pattes, sur place ! Une occasion à profiter, qui se retrouvera pas… Au ch’tar, les Frizons, tous, les civils comme les griviers. Au « Lag », derrière les barbelés, triple enceinte électrique… Tous, pas de détail. Voilà comment je la vois, moi, leur Bochie.

Il écumait, réellement furieux. Alors qu’il reniflait des traquenards sous les invites les plus cordiales, qu’il se détournait d’un kilomètre pour éviter une voiture dont le numéro ne lui paraissait « pas franc », il se livrait devant les Allemands à son numéro avec une volupté qui écartait toute prudence. Karl Epting avait projeté de constituer, pour notre aide, une Association des intellectuels français en Allemagne. Un comité s’était réuni, à la mairie de Sigmaringen. Céline y avait été convié, en place d’honneur. Au bout d’une demi-heure, il l’avait transformée en pétaudière dont rien ne pouvait plus sortir.

Un dîner eut lieu cependant le soir, singulièrement composé d’un unique plat de poisson et d’une kyrielle de bouteilles de vin rouge. De nombreuses autorités militaires et administratives du « Gau » s’étaient faites inviter, friandes d’un régal d’esprit parisien. Il y avait même un général, la « Ritterkreuz » au cou. Céline, qui ne buvait pas une goutte de vin, entama un parallèle opiniâtre entre le sort des « Friquets », qui avaient trouvé le moyen de se faire battre, mais pour rentrer bientôt chez eux, bons citoyens et bons soldats, consciences nettes, ne devant des comptes à personne, ayant accompli leur devoir patriotique, et celui des « collabos » français qui perdaient tout dans ce tour de cons, biens, honneur et vie. Alors ; lui, Céline, ne voyait plus ce qui pourrait l’empêcher de proclamer que l’uniforme allemand, il l’avait toujours eu à la caille, et qu’il n’avait tout de même jamais été assez lourd pour se figurer que sous un pareil signe la collaboration ne serait pas un maléfice atroce. Mais les hauts militaires avaient décidé de trouver la plaisanterie excellente, ils s’en égayèrent beaucoup, et Ferdinand fut regretté quand il alla se coucher.

Les Allemands passaient tout à Céline, non point à cause de ses pamphlets qu'ils connaissaient mal, mais parce qu'il était chez eux le grand écrivain du Voyage, dont la traduction avait eu un succès retentissant. Le fameux colonel Boemelburg lui-même, terrible bouledogue du S.D. et policier en chef de Sigmaringen, s'était laissé apprivoiser par l'énergumène. Il fallait bien d'ailleurs que Céline fût traité en hôte exceptionnel pour être arrivé à décrocher le phénoménal « Ausweis », d'un mètre cinquante de long, militaire, diplomatique, culturel et ultra-secret, qui allait lui permettre, faveur unique, de franchir les frontières de l'Hitlérie assiégée.

Il n'avait pas fait mystère de son projet danois : puisque tout était grillé pour l'Allemagne, rejoindre coûte que coûte Copenhague, où il avait confié dès le début de la guerre à un photographe de la Cour son capital de droits d'auteur, converti en or, et que ledit photographe avait enterré sous un arbre de son jardin. L'existence, la récupération ou la perte de ce trésor rocambolesque n'ont jamais pu être vérifiées. Mais sur la fin de février ou au début de mars, on apprit bel et bien que Céline venait de recevoir le mythique « Ausweis » pour le Danemark.

Deux ou trois jours plus tard, pour la première fois, il offrit une tournée de bière, qu'il laissa du reste payer à son confrère, le docteur Jacquot. À la nuit tombée, nous nous retrouvâmes sur le quai de la gare. Il y avait là Véronique, Abel Bonnard, Paul Marion, Jacquot, La Vigue, réconcilié après sa douzième brouille de l'hiver avec Ferdine, deux ou trois autres intimes. Le ménage Destouches, Lucette toujours impeccable, sereine, entendue, emportait à bras quelque deux cents kilos de bagages, le reliquat sans doute des fameuses malles, cousus dans des sacs de matelots et accrochés à des perches, un véritable équipage pour la brousse de la Bambola-Bramagance. Un lascar, vaguement infirmier, les accompagnait jusqu'à la frontière, pour aider aux transbordements, qui s'annonçaient comme une rude épopée, à travers cette Allemagne en miettes et en feu. Céline, Bébert sur le nombril, rayonnait, et même un peu trop. Finis les « bombing », l'attente résignée de la fifaille au fond de la souricière. Nous ne pèserions pas lourd dans son souvenir. Le train vint à quai, un de ces misérables trains de l'agonie allemande, avec sa locomotive chauffée au bois. On s'embrassa longuement, on hissa laborieusement le barda. Ferdinand dépliait, agitait une dernière fois son incroyable passeport. Le convoi s'ébranla, tel un tortillard de Dubout. Nous autres, nous restions, le cœur serré, dans l'infernale chaudière. Mais point de jalousie. Si nous devions y passer, du moins le meilleur, le plus grand de nous tous en réchapperait.
                  
Lucien REBATET, Mémoires d’un fasciste II, Pauvert, 1976, p. 218 – 224.

lundi, 11 janvier 2010

Camus, con Jünger e la Arendt sta a pieno titolo nel "nostro" pantheon

camus.jpgCamus, con Jünger e la Arendt sta a pieno titolo nel "nostro" pantheon

 Articolo di Luciano Lanna
Ex: http://robertoalfattiappetiti.blogspot.com/
Dal Secolo d'Italia, edizione domenicale del 3 gennaio
A cinquant'anni dalla prematura scomparsa per un incidente stradale, il presidente Sarkozy ha pensato di trasferire le spoglie di Albert Camus al Pantheon e in Francia è esplosa una vivace polemica. Tutta di natura politica. L'omaggio è stato considerato un affronto da parte di qualcuno. Tuttavia Catherine Camus, la figlia della scrittore che gestisce l'eredità del padre, ha comunque spiegato: «Camus è un uomo pubblico e i suoi libri appartengono a tutti. Io non voglio imporre nulla a nessuno, non sono la guardiana del tempio, anche perché il tempio non esiste...». E in questo senso qualcosa di simile si è registrata anche in Italia, dove il quotidiano la Repubblica ha dedicato un'inchiesta di Simonetta Fiori a una nuova destra politica e culturale - «libertaria e non autoritaria, riformatrice e non conservatrice, democratica e non populista» - il cui profilo emerge evidente proprio per il fatto che «adotta Albert Camus tra i propri Lari».
Lo scrittore e pensatore francese di cui domani, 4 gennaio, ricorre il cinquantenario della morte, veniva affiancato su Repubblica accanto a figure a lui apparentabili come Simone Weil, Hannah Arendt, Bruce Chatwin o Jürgen Habermas. E alle quali si potevano senz'altro accostare anche Ernst Jünger, Indro Montanelli, Arthur Koestler, Ignazio Silone, André Malraux, George Orwell, Raymond Aron... Personalità del secolo scorso che si sono contraddistinte per il fatto di aver "attraversato" criticamente il Novecento, essersi abbeverati alle sue passioni incandescenti, ma che a un certo punto sono riusciti a prendere le distanze da quelle tempeste a cui essi stessi avevano partecipato. Jünger, ad esempio, arrivando a scrivere un romanzo-metafora contro la degenerazione totalitaria di quel nazionalismo che lo aveva visto entusiasta da adolescente come Sulle scogliere di marmo, partecipando al fallito putsch contro Hitler e lavorando teoricamente, nel secondo dopoguerra, per un libertarismo spiritualista. Allo stesso modo Koestler, Silone, Malraux e Orwell ribaltarono gli entusiasmi giovanili per il comunismo nel più coerente impegno intellettuale antitotalitario. Ma Albert Camus fu senz'altro più precoce e più incisivo di tutti gli altri. Aderì ad Algeri, dove trascorse gran parte della sua gioventù, alla locale sezione del partito comunista nel 1934, a ventuno anni. Ma lo fece solo per occuparsi delle rivendicazioni e dei diritti della popolazione araba. Ma si dimette già nel 1935: i motivi di dissenso erano già tanti, ma fu soprattutto la posizione dei comunisti favorevole alla repressione poliziesca contro Messali Hadj, leader del movimento indipendentista Etoil Nord Africaine, a fargli intravvedere come inevitabile la rottura. Non a caso Albert, che intanto si è laureato in filosofia, sceglie un'altra via per il suo impegno politico: insieme a un gruppetto di intellettuali delle varie etnie algerine fonda una Casa della cultura con l'obiettivo di dar vita a quello che potremmo chiamare il "libertarismo mediterraneo". «Al suo tempo - ricorda sua figlia Catherine - la maggior parte degli intellettuali francesi erano dei borghesi che avevano frequentato le migliori scuole. Lui era diverso e per di più veniva dall'Algeria, in un'epoca in cui la Francia guardava soprattutto al Nord, rimuovendo la sua dimensione mediterraneo. Per lui invece la mediterraneità era importante. Amava moltissimo anche la Spagna, la Grecia e soprattutto l'Italia. Per lui il mare e il sole erano fondamentali. Ha anche scritto che gli sarebbe piaciuto morire sulla strada che sale verso Siena...». Morì invece in Francia, sulla strada Sens-Parigi, per un fatale incidente d'auto quel 4 gennaio del 1960. La macchina era una Facel-Vega, alla guida Michel Gallimard, editore. «Albert Camus, scrittore, nato il 7 novembre del 1913 a Mondovi, dipartimento di Costantine (Algeria)», c'era scritto sulla carta d'identità ritrovatagli in una tasca della sua giacca.
Aveva scritto da qualche parte che non gli sarebbe spiaciuto morire in una camera d'albergo, libero da qualsiasi «senso di possesso». Non amava le facili rassicurazioni, le comode ossessioni identitarie, i feticci della modernità. E restò fino alla fine coerente con questi suoi assunti. Alla notizia dell'incidente, l'allora ministro della Cultura francese, André Malraux, spedisce immediatamente un segretario a ritirare la borsa di Camus. Nella borsa c'è un manoscritto, centoquaranta fogli coperti da una scrittura fitta: è il romanzo Il primo uomo. La casa editrice decise di non pubblicarlo perché politicamente non opportuno. Eppure quel romanzo era la risposta di Camus alla questione algerina, che dal 1954 lacerava la Francia, l'Algeria e l'Europa, e che fu storicamente il primo laboratorio di quei conflitti che, a cinquant'anni da quell'incidente automobilistico, agitano i nostri tempi.
D'altronde è un dato storico che negli anni Sessanta, alla vigilia di quella contestazione studentesca di Berkeley che anticipò il nostro Sessantotto, gli universitari tenevano sul comodino due livre de chevet: Sulla rivoluzione di Hannah Arendt e L'uomo in rivolta di Albert Camus. In quel fermento studentesco anglosassone, lontano dal marxismo-leninismo e spinto soprattutto sul fronte dei diritti civili, della lotta contro la segregazione razziale e del libertarismo, l'autore di romanzi come Lo straniero e La peste, il giovane premio Nobel nel 1957, veniva letto come uno scrittore "politico" tout court.
Già nel 1946 del resto Camus da giornalista impegnato - cominciò a scrivere prima su Paris Soir poi su Combat dopo la pubblicazione dei suoi primi famosi romanzi - pubblicò una serie di articoli dal titolo «Né vittime né carnefici", in cui delineva una prima critica profondo dello stalinismo e di tutti i totalitarismi. Dal 1949 è tra i promotori di un'organizzazione che si propone di dare aiuto materiali ai dissidenti dei regimi comunisti dell'Est, delle colonie africane in esilio e delle dittature militari. Nel 1950 interviene pubblicamente nel dibattito tra Palmiro Togliatti e Ignazio Silone, di cui è amico, sulla rottura dell'italiano col Pci in nome delle ragioni della libertà. Nel 1951, infine, esce il suo saggio filosofico L'uomo in rivolta che segna la rottura tra lui e Jean-Paul Sartre. «Fu - racconta sua figlia - un vero scandalo, fu accusato di essere di fatto un alleato della destra. Molti si allontanarono da lui. Solo alcuni amici gli rimasero vicini, come Nicola Chiaromonte e Ignazio Silone». Il primo gli restò vicino fino alla fine e lo fece collaborare sin dal 1956 alla rivista Tempo Presente, in nome della comune avversione per il pensiero ideologico: «La cultura non è il terreno - diceva - della verità, ma della disputa intorno alla verità».
Nel 1953, alla notizia della rivolta libertaria di Berlino, Camus prende posizione a favore delle ragioni degli insorti anticomunisti. Tra il 1955 e il 1956 Camus collabora poi al settimanale L'Express con una lunga serie di articoli sulla guerra civile algerina scoppiata nel 1954. Impegnato nella ricerca di una soluzione politica per quella crisi, nel gennaio 1956 torna ad Algeri e Orano sostenendo quei movimenti che lottano per la fine del regime coloniale ma anche per la convivenza etnica, partecipando a diversi comizi. Nel 1957, ancora, scrive Riflessioni sulla ghigliottina, una serie di testi contro la pena di morte, all'epoca ancora in vigore a Parigi come a Washington, a Madrid come ad Algeri.
In Italia, oltre ovviamente ai suoi amici e sodali Silone e Chiaromonte, si interessarono di lui Mario Gozzini sulla rivista papiniana L'Ultima già nel 1948, poi Guido Piovene, i pensatori cattolici Armando Rigobello e Armando Carlini, e i critici letterari Luigi Baccolo e Carlo Bo, accostandolo quest'ultimo alla letteratura di Pierre Drieu La Rochelle. Sul piano generazione, vale quanto scritto a suo tempo da Massimo Fini: «Coloro che, come me, erano adolescenti - ha scritto il giornalista - nella seconda metà degli anni Cinquanta, si sono formati su Sartre e su Camus. Fummo esistenzialisti anche se non sapevamo bene cosa fosse l'esistenzialismo. Da lì nasceva la nostra inclinazione per l'individualismo, il nichilismo, l'assurdo, il libertarismo che, sostanzialmente, non ci ha più abbandonato. Alla rivoluzione preferivamo, con Camus, la rivolta».
Da "destra" comunque nei primi anni Sessanta se ne occupano almeno due libri pubblicati dalle edizioni dell'Albero di Piero Femore: L'uomo in allarme dell'allora giovane critico letterario Fausto Gianfranceschi e Il declino dell'intellettuale di Thomas Molnar. Il primo accostava la rivolta esistenziale evidente negli scritti di Camus a tutti i "ribelli" che dalla letteratura dei "giovani arrabbiati" britannici alla beat generation statunitense stava caratterizzando nei romanzi il bisogno di libertà delle giovani generazioni. Nella figura dello "straniero" di Camus si ravvisava l'escluso «che si pone il problema della libertà, l'uomo che è interessato a sapere come dovrebbe vivere invece di prendere semplicemente la vita come viene». E Gianfranceschi apparentava la figura del Mersault camusiano, il protagonista de Lo straniero, a personaggi letterari contemporanei come il "lupo della steppa" di Herman Hesse o all'outsider di Colin Wilson. Thomas Molnar invece, anche sulla scorta dell'interpretazione del pensatore cattolico (e di destra) Gabriel Marcel, lo avvicinava al connazionale André Malraux: «Si può dire - scriveva - nonostante il loro pensiero sia meno sistematico di quello di Sartre, che abbiamo rappresentato meglio l'umanesimo esistenzialista poiché hanno afferrato e colto le sue motivazioni sotterranee con l'intuizione propria dell'artista». E in particolare su Camus, annotava: «Scrittore più vivo, più caldo, più mediterraneo, rappresenta l'altra faccia del culto dell'azione: la giustificazione dell'impegno quotidiano, di quelle che lui chiama le "fatiche di Sisifo" che conferiscono dignità all'uomo attraverso la schiavitù di un'esistenza media. Anch'egli, senza alcun dubbio, parla dell'artista come di un ribelle che tenta di strappare alla storia i suoi inafferabili valori».
Ma l'impulso libertario di Camus non si è mai crogiolato nella santificazione di un comodo individualismo narcisista. «Visto che non viviamo più i tempi della rivoluzione - scrisse - impariamo a vivere il tempo della rivolta». Ed è anche per questo che Massimo Fini ha concluso: «Il Sartreche che cercava di comiugare esistenzialismo e marxismo non ci finì mai di convincere. Camus, che ebbe la fortuna di morire presto, invece lo amammo sempre. Tutto».
Luciano Lanna, laureato in filosofia, giornalista professionista dal 1992 e scrittore (autore, con Filippo Rossi, del saggio dizionario Fascisti immaginari. Tutto quello che c'è da sapere sulla destra, Vallecchi 2004), oltre ad aver lavorato in quotidiani e riviste, si è occupato di comunicazione politica e ha collaborato con trasmissioni radiofoniche e televisive della Rai. Già caporedattore del bimestrale di cultura politica Ideazione e vice direttore del quotidiano L'Indipendente, è direttore responsabile del Secolo d'Italia. Alcuni suoi articoli sono raccolti su questo blog.

mercredi, 06 janvier 2010

Céline naufragé

celine.jpg6 janvier 1940 : Louis-Ferdinand Céline n’a pas été directement mobilisé en raison des nombreuses blessures qu’il avait reçues pendant la première guerre mondiale. Il a cependant tenu à servir la France en s’engageant comme médecin dans la marine. Le 6 janvier 1940, le navire sur lequel il officie, heurte un bâtiment britannique au large de Gibraltar et fait naufrage. Céline, selon ses propres mots: “a suturé pendant quatorze heures et piqué dans tous les sens – toute la nuit coupaillé ici et là!”.

 

vendredi, 18 décembre 2009

L'insolente Cioran

e_m_cioran.jpgL'insolente Cioran

Dal mensile Area, giugno 2001

«La mia missione è di uccidere il tempo e la sua di uccidermi a sua volta. Ci si trova perfettamente a proprio agio tra assassini». Con questa dichiarata volontà e nella convinzione che «chiunque non sia morto giovane merita di morire» Emile Michel Cioran, poeta, filosofo, saggista ha condotto il suo personalissimo duello con la vita, «il più grande dei vizi», sino al 20 giugno del 1995, giorno in cui è morto a Parigi.

A sei anni dalla scomparsa di questo affascinante esponente della cultura europea del Novecento, arrivano nelle librerie italiane i Quaderni 1957 - 1972. L’opera raccoglie il prezioso contenuto di trentaquattro taccuini, ritrovati dopo la sua morte, ora pubblicati da Adelphi in un ponderoso tomo di oltre mille pagine, per la delizia di noi lettori. Si tratta degli appunti più intimi di uno sferzante fustigatore della modernità, «scettico di servizio in un mondo alla fine», scritti nel lungo arco di tempo che va dal giugno 1957 al novembre 1972. Vi si trovano, tenuti insieme da una scrittura iperbolica e densa di suggestioni incantatrici, riflessioni, sentenze fulminanti, ritratti strabilianti, descrizioni minuziose di significativi episodi vissuti, aneddoti e paradossi. Soprattutto emerge, tra le righe, l’animo inquieto di un artista affamato d’assoluto, di uno spirito religioso senza religione, di uno scrittore lucido e delirante al tempo stesso, che per la sua natura contraddittoria sfugge ad ogni classificazione, tanto da definirsi egli stesso un «idolatra del dubbio, un dubitatore in ebollizione, un dubitatore in trance, un fanatico senza culto, un eroe dell’ondeggiamento».

Francese d’adozione, Cioran rimane uno scrittore di stirpe rumena e sentimenti balcanici. Nasce a Rasinari (Sibiu) in Transilvania l’8 aprile del 1911 e i Carpazi sono i compagni della sua adolescenza. Rimane sempre legato alla «madre patria immersa nella bruma» anche quando nel 1937 decide di lasciare l’insegnamento nei licei e accettare una borsa di studio a Parigi, «piccola Bucarest […] la sola città del mondo dove si poteva essere poveri senza vergogna, senza complicazioni, senza drammi, la città ideale per essere un fallito». Ed infatti la sua vita parigina è caratterizzata da quel modus vivendi studentesco che Robert Brasillach definiva «l’eminente dignità del provvisorio», ben descritto da Mario Bernardi Guardi nella monografia che il mensile Diorama Letterario ha dedicato nel maggio 1991 (n.148) a Cioran, profeta della decadenza: «Provinciale d’ingegno e studente ribaldo, legge e scrive, ma va anche in giro in bicicletta per i Pirenei e la Bretagna. E vive, fino a quarant’anni, da avventuroso adolescente: ha in tasca pochi soldi, dorme negli ostelli, abita nelle soffitte, alloggia negli albergucci, mangia alla mensa universitaria».

Con sofferenza matura la decisione di rinunciare alla sua lingua d’origine per scrivere in francese. «Ho scritto in rumeno fino al ’47. Quell’anno mi trovavo in una casetta a Dieppe, e traducevo Mallarmé in rumeno. Di colpo, mi son detto: Che assurdità! Che senso ha tradurre Mallarmé in una lingua che nessuno conosce? Allora ho rinunciato alla mia lingua. Mi sono messo a scrivere in francese, ed è stato difficilissimo, perché, per temperamento, la lingua francese non mi si addice. Io ho bisogno di una lingua selvaggia, di una lingua da ubriaco. Il francese è stato per me una camicia di forza».

Sono invece in rumeno, questa «mistura di slavo e latino, idioma privo di eleganza ma poetico», le sue opere giovanili. A soli ventitre anni scrive un saggio di «sfida al mondo», Al culmine della disperazione (Adelphi 1998), che riscuote un certo successo e viene premiato.

Nel 1937 pubblica Ascesa della Romania. Vi si scorge un Cioran ancora attento all’attualità politico culturale, persino interventista nel dibattito del suo paese: «Nessuno può dirsi nazionalista se non soffre infinitamente del fatto che la Romania non possiede la missione storica di una grande cultura e che un imperialismo culturale e politico come quello delle grandi nazioni non possa appartenerle; non è nazionalista chi non può credere con fanatismo alla repentina sublimazione della nostra storia». Nello stesso periodo scrive: «La cultura rumena vive attualmente il suo momento decisivo: abbandonare dietro di sé la tragedia di una cultura su piccola scala e, attraverso le sue imprese in materia di teorie, d’arte, di politica e di spiritualità, compiere un destino specificamente aggressivo da grande cultura. Lo sforzo dei rumeni deve dunque mirare a strappare il loro paese dalla periferia della storia per condurlo sul proscenio…».

Insieme a numerose personalità della cultura, come lo storico delle religioni Mircea Eliade, si schiera a fianco della Legione dell’Arcangelo Michele. E’ una stagione brevissima, prevale presto lo scetticismo e la sfiducia in ogni rivoluzione. Anni dopo scriverà: «Ogni progetto è una forma di schiavitù». E anche: «Mi basta sentire qualcuno parlare sinceramente di ideale, di avvenire, di filosofia, sentirlo dire noi con tono risoluto, invocare gli altri e ritenersene l’interprete, perché io lo consideri mio nemico».

Prima di partire per la Francia pubblica a sue spese Lacrime e Santi (Adelphi 1990) e qualche anno dopo il suo ultimo libro in lingua rumena, Il tramonto dei pensieri. Si appassiona a Shakespeare e Baudelaire, a Dostoevskij, agli antichi gnostici, a Buddha e Pascal.

Lo influenzano soprattutto Spengler e Schopenhauer, suo «grande Patrono, boicottato dalla tromba degli utopisti, senza parlare di quella dei filosofi» e Nietzsche. Sono in molti a paragonarlo al grande tedesco, dal filosofo spagnolo Fernando Savater, allievo ed amico di Cioran nonché traduttore delle sue opere e autore della biografia Cioran, un angelo sterminatore (Frassinetti 1998), a Jean François Revel che lo definisce «il solo rappresentante letterariamente riuscito dell’arte dell’aforisma dopo Nietzsche».

Termina presto l’idillio con la filosofia, («ha vinto l’incantesimo della filosofia», scrisse Alain De Benoist), che abbandona per abbracciare «l’esperienza, le cose vissute, la follia quotidiana». Preferisce finire «prima in una fogna che su un piedistallo». Detesta la pedanteria dei filosofi, piuttosto che sposare dogmi vuole demolirne. Ritiene l’erudizione un pericolo mortale per l’umanità. «Il sapere […] ci condurrà inesorabilmente alla rovina», avverte.

Soprattutto Cioran non vuole rinunciare al suo «dilettantismo»: «Se fossi costretto a rinunciarvi è nell’urlo che vorrei specializzarmi». Le sue opere, in effetti, gridano, nell’intento di svegliare le coscienze dal torpore morale: «scuotendole, le preservo dallo snervamento in cui le sommerge il conformismo». In esse vibra un’energia baldanzosa e vitale che stride, solo apparentemente, con la sfiducia di Cioran.

La sua critica pungente si rivolge all’uomo contemporaneo, capace solo di «secernere disastro», alla ragione, «la ruggine della nostra civiltà», alla storia, «indecente miscela di banalità e apocalisse», al progresso, «l’ingiustizia che ogni generazione commette nei confronti di quella che l’ha preceduta» e al colonialismo occidentale nel Terzo Mondo, «l’interesse degli uomini civili per i popoli che vengono chiamati arretrati è molto sospetto, incapace di sopportarsi ancora, l’uomo civilizzato scarica su questi popoli l’eccedenza dei mali che lo opprimono, li incita a condividere le proprie miserie, li scongiura di affrontare un destino che ormai non può più affrontare da solo».

Eppure, pur esprimendo un inconfutabile pessimismo, Cioran non può essere ritenuto semplicisticamente un nichilista. Non si limita ad annunciare la catastrofica fine dell’occidente, ma invita tutti ad una vera e propria rivolta morale. Come ha scritto Bernardi Guardi il suo è comunque un messaggio positivo: «C’è da indietreggiare davanti a tanta copia d’angoscia. Eppure l’umor nero di Cioran, mettendoci in guardia contro tutto, paradossalmente ci insegna a riscoprire tutto, a fare carne e sangue di ogni esperienza, prima fra tutte quella del dolore, della religione, della morte».

C’è in lui, infatti, una robusta vena di sensibilità sociale, scevra di ogni forma di retorica, scarna e proprio per questo più sincera. E’ singolare come tale sentimento conviva con l’aristocratico distacco rispetto alle sorti del mondo che caratterizza questo autore solitario e metafisico.

La sua insofferente misantropia lo porta a scrivere feroci battute come queste: «appena si esce nella strada, alla vista della gente, sterminio è la prima parola che viene in mente […] quando passo giorni e giorni in mezzo a testi in cui si tratta unicamente di serenità, di contemplazione, di spoliazione, mi viene voglia di uscire per la strada e spaccare il muso al primo che incontro». La tolleranza diventa «una civetteria da agonizzanti». Malgrado affermazioni così temerarie Cioran non ha dubbi: «Ci si deve schierare con gli oppressi in ogni circostanza, anche quando hanno torto, senza tuttavia dimenticare che sono impastati con lo stesso fango dei loro oppressori». L’auspicio è quello di un mondo liberato dal lavoro, dove la gente possa «uscire in strada e non fare più nulla. Tutta questa gente abbrutita, che sgobba senza sapere perché, o si illude di contribuire al bene dell’umanità, che fatica per le generazioni future sotto l’impulso della più sinistra delle illusioni, si vendicherebbe allora di tutta la mediocrità di una vita vana e sterile, di tutto questo spreco di energia privo dell’eccellenza delle grandi trasfigurazione».

Per Cioran la scrittura non è un mestiere, ma un atto liberatorio. Si domanda: «Cosa sarei diventato senza la facoltà di riempire delle pagine. Scrivere significa distrarsi dei propri rimorsi e dei propri rancori, vomitare i propri segreti. Lo scrittore è uno squilibrato che si serve di quelle finzioni che sono le parole per guarirsi». Chiamato in numerose università a tenere dei corsi, rifiuta asserendo che ne è incapace, perché «ogni idea mi ripugna nel giro di un quarto d’ora».

In Italia, negli anni del più ortodosso fondamentalismo marxista, i suoi libri sono stati a lungo ignorati, in quanto ritenuti politicamente scorretti. Solo le edizioni del Borghese dettero alla luce due sue opere, Storia e Utopia (1969) e I nuovi Dei (1971), libro, quest’ultimo, ristampato successivamente anche dall’editore Ciarrapico nella bella collana de I classici della controinformazione, diretta da Marcello Veneziani.

Solo diverso tempo dopo ed in Italia soprattutto grazie ad Adelphi, che ne ha tradotto, nel corso degli ultimi quindici anni, quasi tutta l’opera, il grande pubblico ha potuto godere di buona parte dei suoi scritti, tra i quali la stessa Storia e Utopia (ovviamente trascurando di fare riferimenti alle precedenti edizioni), Il funesto demiurgo, L’inconveniente di essere nati, La caduta nel tempo, La tentazione di esistere, Sommario di decomposizione, Sillogismi dell’amarezza, Squartamento e Esercizi di ammirazione.

In questo libro, in particolare, conosciamo un Cioran anomalo, non più sarcastico ma, al contrario, persino generoso nel giudicare alcuni personaggi della cultura suoi contemporanei, tra i quali gli amati Eliade, Borges e De Maistre.

Sul futuro delle sue opere Cioran ha dichiarato: «Il destino dei miei libri mi lascia indifferente. Credo però che qualcuna delle mie insolenze resterà». Noi invece siamo convinti che la sua opera rimarrà di assoluta attualità, così come la sua figura di provocatore “insolente”.

A tal proposito la definizione che Cioran ha dato del grande pensatore reazionario Joseph de Maistre, è per noi, lettori devoti, la più adatta a descrivere proprio il grande rumeno: «Senza le sue contraddizioni, senza i malintesi che, per istinto o calcolo, alimentò sul proprio conto, il suo caso sarebbe stato liquidato da tempo, ed oggi soffrirebbe la disgrazia di essere capito, la peggiore che possa abbattersi su un autore».

mardi, 15 décembre 2009

Georges Simenon, l'incompreso di successo

simenon3tm7.jpgGeorges Simenon, l’incompreso di successo

Roberto Alfatti Appetiti
Dal mensile Area, febbraio 2003.

Il prossimo 13 febbraio saranno trascorsi cento anni dalla nascita del narratore belga (Liegi, 13 febbraio 1903), anzi per dirla con Gide del «più grande romanziere della letteratura francese contemporanea».
Sì, francese. Perché Simenon ritenne sempre la Francia sua nazione di appartenenza, anche se dai francesi fu a lungo considerato, con pervicace sufficienza, come uno scrittore commerciale o, nel migliore dei casi, come un “giallista”, la cui vastissima popolarità era da ritenersi esclusivamente legata alla creazione del personaggio del commissario di polizia Jules Maigret, piuttosto che rappresentare un giusto riconoscimento alla sua qualità di scrittore.

Apprezzato da molti colleghi, rimangono memorabili gli entusiastici giudizi tributatigli da Hemingway, «se siete bloccati dalla pioggia mentre siete accampati nel cuore dell’Africa, non c’è niente di meglio che leggere Simenon, con lui non m’importava di quanto sarebbe durata», di Mauriac, «l’arte di Simenon è di una bellezza quasi intollerabile» e persino di Céline, che pure non era tenero verso i suoi contemporanei.

Ciò nonostante Simenon ha vissuto tutta la sua vita in una specie di purgatorio letterario, stretto tra i giudizi severi di una critica che, non perdonandogli di aver offerto il suo talento ad un genere minore quale quello noir, gli ha negato di varcare le soglie dell’Accademia, e un pubblico che ha divorato i suoi libri alla stessa frenetica velocità con cui lui li ha scritti.

Eppure non rinnegò mai Maigret, anche perché il commissario gli aveva procurato, insieme con la ricchezza, la possibilità di dedicarsi a tempo pieno alla scrittura, cui si applicò con passione, determinazione e una certa maniacale disciplina. Tutte le mattine si metteva al lavoro all’alba, armato di venti matite ben temperate e dodici pipe, la cui comune utilità era favorire la concentrazione ed evitare inopportune interruzioni.

L’importante era raccontare la storia tutto d’un fiato, senza stucchevoli formalismi. Si vantava di aver usato in tutto non più di duemila parole per scrivere i suoi libri. «Se c’è una bella frase, la taglio» rispondeva seccamente a chi ne criticava la scrittura troppo asciutta ed essenziale, e aggiungeva: «io sono un artigiano e ho bisogno di lavorare con le mie mani. Mi piacerebbe intagliare i miei romanzi in un pezzo di legno».

Un personaggio bizzarro, del quale diversi erano gli aspetti che rendevano diffidenti gli opinion makers.
 
L’esuberanza, per non dire la stravaganza, del suo carattere anticonformista, niente affatto incline a sottostare alle regole non scritte dei salotti letterari parigini, cui non faceva mistero di preferire la mondanità, la strada e le prostitute, e il vitalismo erotico, che lo portò ad amare circa diecimila donne. «Ho cominciato presto», replicava con falsa modestia a chi gli contestava l’improbabile numero.

Di certo scontò la sua scarsa considerazione per la politica ed i politici, «piccoli uomini malati di vanità», ed in particolar modo per quelli di sinistra. «E’ più interessante un vagabondo di un grande uomo perché un vagabondo è un uomo che può vivere con se stesso senza bisogno delle apparenze», amava ripetere.

Infastidivano le sue contraddizioni, i contratti miliardari con editori importanti, il suo ostentato gusto per il lusso, il fatto che prima di ritirarsi in una piccola baia in Svizzera negli anni precedenti alla morte, arrivata il 4 settembre 1989, vivesse in una grande villa circondato da una corte sterminata di servitori.

Qualcuno, probabilmente, non smise di rimproverare allo scrittore di aver accettato, appena arrivato a Parigi nel 1922, un impiego come segretario presso Binet-Valmer, figura di spicco della destra parigina, prestandosi a svolgere in realtà l’attività di tuttofare per una lega d’estrema destra, prima di passare ad un vero lavoro di segreteria presso il marchese de Tracy, ricco aristocratico della stessa area politica.

Il periodo peggiore per Simenon arrivò con la seconda guerra mondiale, quando venne accusato di collaborazionismo con i nazisti e costretto ad una specie di esilio, seppur volontario, negli Stati Uniti, dove rimase dieci anni, e in Svizzera.

La “colpa” di Simenon, ha scritto Bernardi Guardi, è stata «di non aver fatto la Resistenza […] di aver avuto amici collaborazionisti tra artisti e scrittori […] e di non aver detto di no ai tedeschi quando si era trattato di vendere i diritti per produzioni cinematografiche, di pubblicare libri, di far parte di giurie di premi letterari un po’ sospetti». Suo fratello, scrive ancora Bernardi Guardi, «si era addirittura arruolato nelle file dei rexisti, i fascisti belgi di Degrelle ». Ed infatti l’analoga accusa di essere un collabos venne rivolta al fratello Christian, cui però toccò una sorte ben peggiore. Per sfuggire ad una condanna a morte in contumacia per collaborazionismo, Christian Simenon si era arruolato nella Legione Straniera con lo pseudonimo di Christian Renaud, su consiglio del fratello Georges, e in pochi mesi si era conquistato il grado di caporale. Il 31 ottobre 1947 venne ucciso in una imboscata a That Khe et Dong Kue mentre svolgeva un servizio di perlustrazione.

Lo stesso Georges continuò ad avere seri problemi in patria, il suo paese «gli fece male», parafrasando l’espressione di un altro grande scrittore e poeta francese, Robert Brasillach, che la Francia gollista assassinò barbaramente, dopo un processo farsa, il 6 febbraio del 1945. Nel 1949 venne vietato a Simenon di tenere conferenze e di pubblicare i suoi libri in Francia a causa del suo passato politico.

Ma la vera passione di Simenon non era la politica, bensì il giornalismo e la letteratura, che per lui erano non soltanto due mestieri, ma formidabili strumenti di rappresentazione di quel popolo che tanto lo affascinava.
Prima ancora di trasferirsi a Parigi aveva lavorato per tre anni, giovanissimo, nell’ultraconservatore quotidiano la Gazzetta di Liegi, imparando i rudimenti del mestiere. Il suo giornalismo parigino non era quello impegnato, pretenzioso e militante di tanti suoi coetanei, ma quello della cronaca nera, delle serate trascorse in giro, passate a bere nelle brasserie e nei locali notturni e nelle caserme della capitale a raccogliere informazioni, di una Parigi vissuta pienamente e intimamente e poi magnificamente restituita in tutto il suo fascino nei suoi romanzi, molti dei quali scritti lontano dalla capitale francese, ma sempre nitida e coerente nelle descrizioni di Simenon.

Una confidenza, quella dello scrittore con Parigi, acquisita dall’intensa frequentazione delle sue strade, di tutti i suoi quartieri, compresi quelli malfamati. Il giovane Simenon, infatti, era divorato dalla voglia di vivere sopra le righe e dentro le righe, per mantenersi scriveva racconti popolari e novelle per giornali e settimanali, centinaia in pochi anni, alternando pubblicazioni su giornali più autorevoli come Il Matin a riviste disimpegnate come Le Merle blanc.

Il suo primo libro è del 1927, Il romanzo di una dattilografa, ma l’evento più importante della sua vita letteraria è rappresentato dalla pubblicazione a puntate, nel 1930, sul settimanale Ric et Rac dell’editore Fayard, di Pietro il Lettone, la storia che vide la prima “apparizione” del Commissario Jules Maigret.

Inizia così una lunghissima serie poliziesca che conterà settantacinque romanzi e ventotto racconti per un totale di quarantadue anni di inchieste, ovvero sino al 1972, quando Simenon decise di pensionare quel “vecchio amico” del Commissario, così diverso dal suo creatore. Maigret è monogamo, fedele a sua moglie, un sobrio e solerte burocrate ben saldo nel suo ufficio in Quai des Orfevres, in place Dauphine, attento e minuzioso indagatore dell’animo umano ancora prima che investigatore di polizia. Simenon è irrequieto, geniale, immorale, apertamente poligamo, è un demolitore delle rispettabilità borghese, pur senza mai esprimere un giudizio di condanna, ma anzi schierandosi sempre e senza tentennamenti con i suoi personaggi, non mancando di sottolineare l’irrazionalità che mina le strutture della vita sociale ed individuale. Georges e Jules hanno in comune solo la loro umanità e una regola inderogabile, cui entrambi rimarranno fedeli: «comprendere, capire e mai giudicare».

La sua produzione complessiva è sterminata, tra le più monumentali della letteratura mondiale: circa quattrocento romanzi e circa un migliaio di racconti tra quelli firmati con il suo nome e con pseudonimi vari. La popolarità, internazionale, è amplificata negli anni dalle numerose trasposizioni televisive e cinematografiche delle sue opere, che daranno al celebre commissario il volto italiano dell’attore Gino Cervi, ritenuto «il miglior Migret possibile» dallo stesso Simenon.

I luoghi dove sono ambientate le sue storie sono sempre suggestivi, sia che si tratti di Parigi che della provincia francese, della quale riesce magistralmente ad evocare l’atmosfera stagnante e misteriosa anche quando non conosce personalmente i luoghi, come ammette egli stesso nella premessa a Il borgomastro di Furnes: «non conosco Furnes, non ne conosco il borgomastro, né gli abitanti». Eppure la descrizione del borgo fiammingo è quanto mai autentica, forse persino più dell’originale.

I suoi indimenticabili personaggi, quasi tutti fortemente autobiografici, sono intenti a dipanare il grande conflitto della vita, alle prese con i mutamenti repentini che spesso le circostanze presentano agli uomini di ogni ceto sociale, fosse anche la borghesia, che per sua natura dovrebbe essere la classe più solida, meno esposta agli imprevisti del destino. Non a caso molte storie hanno per protagonisti proprio uomini affermati, quel «ceto medio più o meno colto, che dà al nostro paese funzionari, medici, avvocati, magistrati e spesso anche deputati, senatori e ministri». Eppure basta un piccolo episodio, apparentemente poco importante, per stravolgere il corso delle loro vite e far sì che essi perdano irrimediabilmente certezze e valori di riferimento. I personaggi di Simenon non sono dei perdenti, lo sono solo apparentemente, per loro la sconfitta è soprattutto consapevolezza, rivelazione, verità. Vivono la vita come fosse una lunga trance, che può essere interrotta in qualsiasi momento, improvvisamente, dall’irruzione irreversibile dell’amore, del dolore, della morte.

Può essere sufficiente anche un tracollo finanziario a sconvolgere un’esistenza tranquilla, come accade a Kees Popinga, il protagonista de L’uomo che guardava passare i treni, che da onest’uomo e buon padre di famiglia si trasforma in un assassino senza scrupoli. Oppure la circostanza può essere offerta da un omicidio, come nel caso dell’avvocato alcolista Hector Loursat, «un orso di quarant’anni sciatto e trasandato rintanato in casa come un animale ferito», cui è necessario che un delitto venga consumato in casa propria da sconosciuti (o meglio da Intrusi come si intitola il romanzo) per uscire dalla solitudine e tornare a guardarsi attorno, riscoprire lentamente il gusto della propria professione, come dopo un lungo sonno.

E’ emblematico allo stesso modo l’atteggiamento del protagonista di Lettera al mio giudice. Alavoine è un medico, un uomo dalla vita normale, sino a quando nella sua vita entra una ragazza «minuta, pallida, arrampicata sui tacchi». Si amano, ma lui sente di amarla troppo, infine la uccide. Nella lettera che scrive al suo giudice non si discolpa, non si giustifica, chiede solo di «essere capito». Così conclude la sua confessione: «Siamo arrivati sin dove abbiamo potuto. Abbiamo fatto tutto quello che potevamo. Abbiamo voluto l’amore nella sua totalità. Addio signor giudice». Alavoine sente di obbedire ad una legge che non è quella degli uomini ma la sua personale, una legge che egli stesso non conosceva, né di cui avrebbe potuto immaginarne l’esistenza, che non si trova sui codici, che per questo non può essere condannata, ma solo capita e compresa.
E proprio interrogandoci sulle ragioni del lungo cammino in salita che questo grande scrittore ha dovuto percorrere prima di entrare, a pieno titolo, nel pantheon della letteratura mondiale, probabilmente dobbiamo dare ragione ad Hemingway: «Mi sentii solidale con lui durante i suoi incontri con l’idiozia e con il Quai des Orfèvres, e provai grande soddisfazione per la sua sagacia e per la sua reale comprensione dei francesi, impresa che solo uno della sua nazionalità poteva compiere, dato che qualche legge oscura impedisce ai francesi di comprendere se stessi sous peine des travaux forcés à la perpétuité…». Sotto pena dei lavori forzati a vita.
(Vero all’alba, Mondadori 1999).

mercredi, 09 décembre 2009

Roger Nimier, l'ussare blu delle lettere francesi

Nimier-09bf6(1).pngRoberto Alfatti Appetiti

Http://robertoalfattiappetiti.blogspot.com/

Roger Nimier, l’ussaro blu delle lettere francesi

Dal mensile Area, maggio 2003

Pochi mesi prima dell’incidente stradale del 28 settembre 1962, in cui perse tragicamente la vita, Roger Nimier, in una conversazione con François Billetdoux, disse di aver deciso di diventare scrittore per «esplorare il cuore femminile». Si trattava di una confessione sincera, un po’ spavalda, un po’ autoironica, ma anche di una mezza verità, di un elegante modo per schernirsi. L’affermazione, se da una parte serviva ad alimentare la fama di playboy impenitente, dall’altra gli era utile a dissimulare l’ardente impegno culturale che lo aveva spinto, giovanissimo, a scendere nell’arena delle lettere.

Nimier, parigino di Neuilly-sur-seine, «cattolico bretone», come amava presentarsi con una punta di vanità, discendente dell’antica casata dei conti de la Perrière, sentiva l’esigenza di dover recuperare il tempo perso, avvertiva come una imperdonabile colpa l’essere nato “soltanto” il 31 ottobre 1925, troppo tardi per essere vicino ai confrères collabos, ai vinti, agli ultras maudit, a coloro che in virtù della loro militanza nella collaborazione vennero poi sistematicamente emarginati dal mondo letterario. D’indole impetuosa, animato da un intransigente furore iconoclasta, Roger Nimier si gettò a capofitto nella vita, scegliendo di stare dalla parte sbagliata, quella che aveva appena perso, senza alcuna possibilità di rivincita, la sua battaglia. Di simpatie monarchiche, si era formato leggendo l’Action Française. Nel 1945, mentre la Francia era ancora in festa per la Liberazione, non ancora ventenne, corse ad arruolarsi nel 2° Reggimento Ussari e venne spedito di gran carriera negli Alti Pirenei. L’esilio durò meno di un anno, perché troppo forte era il richiamo della tenzone e, smobilitato, tornò a Parigi. L’unico agone praticabile rimaneva quello letterario, ben più vivace di quello ristagnante e compromissorio della politica. Al riguardo, Paul Morand non mancò mai di mettere in guardia il suo giovane amico: «Niente politica, perché tutto è perduto. Stattene tranquillo». Ma Nimier non era un tipo tranquillo, per lui «un uomo senza progetti è il nemico del genere umano».

A soli ventitré anni esordì presso Gallimard con il suo primo romanzo, Le spade, recentemente pubblicato in Italia, nella traduzione del curatore Massimo Raffaelli, grazie ad una piccola casa editrice padovana, Meridiano Zero. Il libro rappresentò un atto di sfida, una vera e propria dichiarazione di guerra ad un mondo culturale, quale quello francese del secondo dopoguerra, egemonizzato dalla sinistra, intento a tessere le lodi della Resistenza e ad esaltarne la superiorità etico-morale nel nome dell’incarnazione d’ideali indiscutibili. E non poteva esserci un’opera più aggressiva, sfrontata e controcorrente di Le spade, esatta antitesi del modello politicamente dominante di una letteratura ispirata dal dogma della responsabilità sociale dello scrittore. La storia, ambientata nella tumultuosa Parigi di quegli anni, è in buona parte autobiografica. La scrittura è asciutta e apparentemente trascurata, ma nello stesso tempo avvincente, ruvida nella sua sincerità, esplicita, veloce, cinematografica. Soprattutto è gettata sulla carta come una rapsodia, senza mediazioni stilistiche. E’ un lungo delirio nel quale il narratore non si preoccupa di analizzare gli avvenimenti che si susseguono, a coglierne qualche dettaglio, come se i fatti non dipendessero dalla sua stessa volontà e tutto fosse frutto di un copione già assegnato al protagonista, di una scelta già fatta. François Sanders si presenta nelle prime pagine come un ragazzino sensibile e annoiato, la cui attività principale consiste nell’annotare su un diario una minuziosa contabilità del suo onanismo. Vive un rapporto d’amore platonico, pur se progressivamente più sensuale, con la sorella Claude, che nella sottile e delicata ambiguità ricorda le vicende dei cugini René e Florence nel romanzo La ruota del tempo di Robert Brasillach (Edizioni Sette colori). Anche qui si avverte il timore del protagonista nei confronti di una maturità che sembra incombere come una minaccia, attirando su di sé la corruzione dell’ambiente esterno e determinando un fatale allontanamento dall’ideale di purezza insito nella gioventù e la fine della naturale complicità tra i due ragazzi. François inizialmente è attratto dalla Resistenza, ma rimane presto deluso dalla meschinità dei suoi compagni, che lo tradiscono e lui tradirà a sua volta. Il suo sguardo si rivolge altrove: «Nel ’44, Vichy mi rompe più che mai, ma i nazisti mi appassionano. Ho intuito la grandezza della catastrofe tedesca e gli ultimi sforzi del suo genio. Al confronto, i movimenti di resistenza mi parevano meritassero un semplice paragrafo nei manuali di storia. Vedevo in anticipo questo piccolo paragrafo, bianco e gelido, noto appena ai bravi allievi […] Non dubitavo della vittoria dei rossi. Loro portavano con sé la verità della storia – noi avremmo avuto la verità dei vinti, tanto più inebriante. In massa sentivo il nostro popolo rifluire verso i vincitori. E vedevo gli altri, i resistenti di giugno accoglierne le luride truppe a braccia aperte, adularle, adorarle». In una Parigi festante, «che scoppia di stupidità», uccide a caso tra la folla un ebreo, «solo per togliersi un capriccio», per eliminare quello che ritiene un «simbolo della nuova Francia, che mangerà a sazietà, lascerà cartacce sull’erba della domenica […] dunque, ho sparato su un simbolo […] Mi sono sottomesso all’ispirazione, ho sparato, ho sentito il dolce rinculo del calcio sulla spalla. Senza dubbio ho sussurrato: Uno di meno. Perché la buona educazione, che conta, dimostra che si può uccidere la gente senza essere comunque dei bruti». Passa tra le file della Milizia, insieme a «figli di papà in rotta con l’ideale, vecchi fascisti tubercolosi, bretoni amatori della Vandea e qualche pregiudicato – il sale della terra, come si dice». Sanders si trova più a suo agio con i duri. Forgia lui stesso un modo di chiamare Pétain, «vecchio culattone […] espressione che ha spopolato e di cui penso che la Milizia mi sia debitrice». La sua adesione al collaborazionismo è estetica, più che politica, è la sua personale reazione di fronte ad «un paese sprofondato nel disonore e con la vocazione al tradimento». «Più l’apocalisse si avvicinava alla Germania più essa diventava la mia patria […] la Germania, nel ’44, è stata il gran luogo di raduno dei desperados d’Europa. Tutta l’ebbrezza di una disfatta clamorosa e meritata si è presentata davanti a noi. I rossi non erano cattivi. Avevano l’innocenza pronta all’uso e tante altre cose. Noi li ammazzavamo e il buon Dio li accoglieva in paradiso. Mentre noialtri, il nostro Dio dei vinti ci offriva un altro piedistallo. Le notizie arrivavano dai quattro angoli del globo. Le disfatte si ammucchiavano davanti a noi per innalzarci, noi che mai avevamo goduto della vittoria».

Come scrive lo scrittore Eraldo Affinati nella prefazione all’edizione italiana, il collaborazionismo di Sanders-Nimier, che ne avrebbe segnato irrimediabilmente la vita come «un’indelebile cicatrice», consisteva soprattutto in una «faccenda di onore e giacche inamidate, fedeltà e sigarette, colpi sferrati a vuoto verso un nemico nascosto dove meno te l’aspetti». La scelta di arruolarsi era stata compiuta perché «non era facile avere vent’anni nel 1945». Affinati cita l’annotazione che Pierre Drieu La Rochelle aveva apposto sul suo diario: «ho collaborato per non essere altrove, nel gregge che trasudava odio e paura». Stato d’animo, più che motivazione razionale, che si adatta alla perfezione alla «rivolta solitaria» di Sanders, «giovane perduto» che «accarezza la Lüger nella tasca dei pantaloni», avuta da un ufficiale delle SS in cambio «di una boccetta di profumo». Se a Sanders non rimaneva altro che brandire la rivoltella, a Nimier non restava che impugnare la penna, anzi “la spada”. Nel romanzo scrive: «Ho sempre pensato che il mondo racchiuda un gran numero di spade segrete, e che ognuna sia puntata verso un petto […] e tutte quelle spade cercano in effetti un fodero di carne». Provocatorio ed irriverente com’era, dopo la pubblicazione del libro, indossò una piccola spilla a forma di spada e, per essere sicuro degli effetti delle sue insolenze, per irritare ancor di più i resistenti, lui, che era nato nel 1925 ed era ancora un giovane studente del liceo Pasteur negli anni dell’occupazione tedesca, pronunciava con noncuranza frasi come questa: «quando ero nelle Waffen SS…».

Quando lo scrittore Marcel Jouhandeau lesse il romanzo, raccontò che «fu come aver ricevuto uno schiaffo di gloria, di luce». Ed infatti Le spade riscosse un grande successo ed impose il giovane Nimier all’attenzione del mondo letterario parigino. Successo che si ripeté due anni dopo, con L’ussaro blu, romanzo che gli fece sfiorare la vittoria del prestigioso Prix Goncourt.

In pochi anni Nimier “sfoderò” un libro dietro l’altro, tra cui: Il grande di Spagna (1950, dedicato a Georges Bernanos), Perfido (1950), Bambini tristi (1951, tradotto da Alfredo Cattabiani venne pubblicato in Italia nel 1964 per le Edizioni dell’Albero), Storia di un amore (1953, l’edizione italiana, sempre a cura di Longanesi, è del 1962) e, dopo un lungo periodo di inattività («una specie di voto», disse a François Billetdoux), D’Artagnan innamorato ovvero cinque anni prima (l’omaggio a Dumas era ormai in tipografia quando Nimier morì tragicamente e l’opera uscì postuma, pochi mesi dopo la sua morte, mentre in Italia Longanesi la pubblicò nel 1964).

Nimier non si limitò ad esercitare il mestiere di narratore, come direttore editoriale di Gallimard si sentiva in dovere di lottare per riabilitare chi non c’era più, chi non era sopravvissuto, perché era morto o perché, per aver condiviso le sue stesse idee, era stato rimosso, esiliato in un limbo letterario.

Giuseppe Scaraffia, tra i pochi conoscitori italiani di Nimier, ha scritto che «indifferente all’ostracismo della sinistra, rintracciò la sua parentela dispersa dalle epurazioni letterarie». Pubblicò autori dimenticati, come Morand, lo stesso Jouhandeau e Céline, di cui divenne consigliere ed amico, sino ad essere tra i pochi intimi cui fu concesso di accompagnarne le esequie.

Nimier fu anche un brillante critico e polemista, dalle colonne de Opéra, La Table Ronde, La Parisienne e Arts, uno dei più prestigiosi settimanali culturali dell’epoca, e un convincente sceneggiatore cinematografico (firmò, tra l’altro, uno dei tre episodi del film I vinti di Michelangelo Antonioni e, insieme all’amico Louis Malle, Ascensore per il patibolo).

Ma soprattutto fu l’animatore e il capofila di un battaglione di scrittori-intellettuali (tra i quali Jacques Laurent, Michel Déon e Antoine Blondin) che si opponeva aspramente a chi spadroneggiava nel mondo culturale e nelle case editrici, di una vera e propria “fronda” che rifiutava il romanzo esistenzialista, il settarismo e il moralismo del detestato engagement culturale francese, dominato dalla ingombrante presenza di due maître a penser come Sartre e Camus. Fu Bernard Frank, giovane giornalista che in seguito diventerà un affermato opinionista al Nouvel Observateur, a definirli per la prima volta “gli ussari”, in un articolo, Hussard e grognard, pubblicato nel dicembre 1952 su Les Temps modernes, la rivista-partito di Sartre, non pensando di battezzare così una scuola letteraria. Il termine voleva esprimere la loro vivacità, la combattività e persino l’abbigliamento, austero, quasi militare, del leader carismatico del gruppo, Nimier. La loro scrittura disinvolta era tesa a demolire la pretenziosità e la pesantezza dei letterati impegnati. Nelle loro opere gli ussari esprimevano un dichiarato rifiuto del mito della Resistenza e della sua ideologia. Atteggiamento, questo, che gli valse la fama subito di “fascisti”. Didier Sénécal, nel suo Roger Nimier à la tete des hussards (Lire, mars 1999), spiega: «Per il capo incontrastato degli ussari l’obiettivo è semplice: scandalizzare i benpensanti di sinistra e le tre principali componenti di quella intellighentia: gli stalinisti, i sartriani e i lettori de Le Monde. Il suo impegno è quello di rimettere in sella i grandi epurati della liberazione. Gli innocenti, come Jean Giono o Marcel Aymé, ma anche i colpevoli, come Jouhandeau, Chardonne e Céline».
A 37 anni Nimier aveva già raccolto una ricca collezione di nemici. Del resto possedeva tutte le qualità per attirare l’invidia di colleghi ed avversari: era bello, centottantaquattro centimetri di fascino e di muscoli coltivati con la pratica del rugby e della boxe («sono attratto dal sudore e dal sangue, dalla gratuità della cosa. E potermi battere realmente mi sembra stupendo»), era borghese e voluttuosamente mondano, sempre impeccabilmente curato ed elegante, distaccato e ostentatamente cinico, come a segnare ogni volta un preciso quanto invalicabile confine tra lui e il mondo.

Amava girare a bordo delle sue luccicanti auto sportive, con la capote vezzosamente abbassata anche in pieno inverno e un bagaglio essenziale sempre a portata di mano: un pigiama, un rasoio e i volumi del Littré, il più raffinato dizionario di francese. Morand, che pure ne condivideva la passione per le auto di grandi cilindrata, gli ripeteva spesso: «Ti rimprovereranno la Jaguar per tutta la vita, il che è ottimo. Dimenticheranno perfino la tua bellezza e il tuo talento, ma la Jaguar mai».

E fu proprio la sua ultima fuoriserie a tradirlo, in una sera d’autunno. Nonostante l’approssimarsi dell’oscurità, uscendo da Parigi sulla sua Aston Martin DB4, lanciata «a plus de 150 à l’heure», si schiantò contro il parapetto di un ponte del raccordo ovest di Parigi. Nel necrologio che gli dedicò due giorni dopo il Journal du dimanche l’articolista si sentì in dovere di ricordare che lo scrittore «aveva avuto una Jaguar e una Delahaye» e di sottolineare come «le sue vetture erano i suoi giochi preferiti e ne scriveva lungamente nelle sue opere». Infine ricordò che «in uno dei suoi libri aveva già descritto un incidente d’auto mortale». Nel romanzo Bambini tristi, infatti, il suo alter ego, Olivier Malentraide, trova la morte in una circostanza singolarmente analoga: «Olivier spinse la macchina ai 130, passando semafori rossi, evitando al pelo i camion ed i ciclisti. Dopo aver corso per qualche minuto a quella velocità, trovò quel che era venuto a cercare in un grande cantiere dove avevano scavato delle buche profonde…». Accanto a Nimier morì la bellia scrittrice Suzy Durupt, 27 anni, che con lo pseudonimo di Sunsiaré de Larcòn aveva pubblicato con Gallimard, grazie a Nimier, il suo primo ed unico romanzo. «Ha sedotto la morte come le ha sedotte tutte» scrisse Morand.

Ed è con questa uscita di scena improvvisa e violenta che è terminata la corsa di uno de Gli Ultimi dandies (Sellerio 2002), famiglia nella quale l’autore del libro, Scaraffia, colloca a pieno titolo Nimier, racchiudendo in poche righe l’essenza della vicenda umana e artistica di Nimier: «il dandy cerca invano nel volto dei vinti un’eco delle virtù che ama: il distacco degli interessi, l’ebrezza di essere in minoranza, il gusto dell’azzardo e del gioco sempre più stretto con la morte». Sempre per rimanere alle definizioni, specialmente quando sono appropriate, come ha scritto Maurizio Serra ne L’esteta armato (Il Mulino 1991), Nimier era «l’ultimo erede degli esteti armati […] i condottieri del Bello e insieme dell’Azione […] l’aristocrazia sensuale e guerriera che nella civiltà europea degli anni Trenta teorizzò una rivolta contro la decadenza».

Con la sua prematura scomparsa, i “moschettieri”, gli ussari, si sono dispersi nel disimpegno. Nelle librerie francesi sono continuati ad arrivare, postumi, altri libri di Nimier, a testimonianza di una vitalità che non poteva essere contenuta in una vita così breve, anche se intensa.

Nel 1968, con la prefazione dell’amico Paul Morand, quasi a restituire un affettuoso favore e a saldare un debito di riconoscenza, viene pubblicato il romanzo che Nimier aveva scritto ventenne e che era stato rifiutato dalle case editrici, Lo straniero, e altre opere, come Il trattato d’indifferenza, un pamphlet filosofico che raccoglie otto riflessioni scritte negli anni Cinquanta da un cinico che era ben consapevole che «non c’è cinismo senza sentimento», pagine che ci piacerebbe poter leggere presto in italiano. Chi ha orecchie per intendere, chi per passione o mestiere fa l’editore, intenda.

jeudi, 26 novembre 2009

Le Bulletin célinien n°313

Sortie du Bulletin célinien n°313, novembre 2009 :

Au sommaire :
- Marc Laudelout :
Bloc-notes (Céline à l’I.N.A.)
- Jacques Francis Rolland : Roger Vailland l’affabulateur
- M. L. : « Céline & Cie » : une nouvelle collection célinienne
- Eugène Fabre : Justice rendue à Céline (décembre 1961)
- Frédéric Saenen : Incorrect (au sens premier du terme). « Une histoire politique de la littérature ».
- M. L. : Pol Vandromme (« Une famille d’écrivains »)
- M. L. : Le souvenir de Robert Denoël
- M. L. : Louis-Albert Zbinden
- Michel Bergouignan : L.-F. Céline contradictoire et passionné (II)
- François Marchetti : Mort d’un éditeur courageux (Kay Holkenfeldt)
- Céline sur Internet

Le numéro 6€



Le Bulletin célinien
B.P. 70

B 1000 Bruxelles 22

L'art et la guerre: de Céline à H. G. Wells

Paul MODAVE :

L’art et la guerre : de Céline à H. G. Wells

 

Article paru dans « Le Soir », Bruxelles, le 18 juillet 1944

 

Au moment où l’invasion et les bombardements aériens dévastent les cités d’art de l’Occident, l’hebdomadaire français « la gerbe » vient d’ouvrir une enquête auprès des personnalités représentatives des lettres françaises afin d’offrir à celles-ci l’occasion de manifester leur réaction devant le saccage du pays.

 

eglisestjulienenruines.jpgCe qui frappe dans beaucoup de ces réponses, c’est leur réticence. Ainsi M. de Montherlant ne voit dans cette enquête qu’une « recherche académique ». M. Georges Ripert, doyen de la Faculté de Droit de Paris, regrette que « dirigeant une maison où il y a beaucoup de jeunes gens, il lui soit impossible d’accorder d’interview » ; quant à Ferdinand Céline, il répond sans ambages « qu’il donnerait toutes les cathédrales du monde pour arrêter la tuerie », ce qui est une plaisante façon de ne rien dire.

 

Commentant cette enquête dans « L’Echo de la France », M. Robert Brasillach s’exprime en ces termes : « Les professionnels de l’art savent bien, Céline aussi bien entendu, que la destruction des cathédrales ou des palais n’arrêtera pas pour cela la tuerie. Mais voilà, dire qu’on désapprouve  —ce serait bien timide cependant—  la destruction inutile de la beauté du monde, c’est donner des gages à l’Allemagne, paraît-il ! On a passé trente, quarante ans à discuter sur l’art et à plaindre nos civilisations mortelles, mais lorsque les trésors de cet art sont renversés par le souffle des machines à détruire, on se tait. On dira ce que l’on pense après la guerre, bien sûr, nuancé à la couleur du vainqueur, s’il y a un vainqueur et s’il y a une après-guerre ».

 

Et après avoir constaté que le dernier témoignage de liberté d’esprit aura été fourni par les cardinaux de France et de Belgique, M. Brasillach conclut par ses mots : « Aujourd’hui, la parole est aux forces et à leurs rapports. Tout s’est simplifié. Mais on pense seulement que la beauté du monde est chaque jour assassinée, et qu’un univers où risquent de manquer demain, Rouen, Caen, Pérouse, Sienne, Florence, n’est pas un univers dont les artistes, fût-ce par leur silence, aient le droit de se dire fiers. Si le « saint Augustin bouclé », de Benozzo Gozzoli, est détruit, dans ses fresques dorées de San-Gimignano, si la « Charité » ne rayonne plus sur les murailles d’Assise, si, de même qu’on ne peut plus errer au pied des plus nobles façades médiévales de Rostock ou de Hambourg, demain c’est le quai aux Herbes de Gand, qui s’effondre dans le néant où sont déjà les rues rouennaises et les églises de Caen ; et si l’on trouve cela tout naturel et si l’on ne souffre pas dans son cœur de civilisé, alors il me semble qu’on perd le droit de parler de culture et de barbarie, qu’on perd le droit, dans l’avenir, d’affirmer que l’on aime l’Italie, l’art roman, la sculpture française si tendre et si virile, il me semble que le silence qui sert aujourd’hui d’alibi devrait être le silence de toute une vie ».

 

On ne peut pas mieux dire. Mais dans le même moment où les artistes français se montrent si discrets ou si réticents, l’écrivain anglais H.-G. Wells, dans un article paru dans « Sunday Dispatch », bientôt repris dans le périodique « World Review », exprime ainsi son opinion sur la destruction des monuments d’art de l’Italie : « Dans tout ce territoire, il n’y a pas une seule œuvre d’art, à l’exception peut-être de manuscrits pouvant être mis facilement à l’abri, qui ne puisse être entièrement détruite, et l’héritage de l’humanité n’en éprouvera pas la moindre perte en beauté. Nous possédons notamment les maquettes de toutes ces statues qui peuvent être copiées, y compris leur patine ».

 

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J’espère que nos lecteurs auront savouré comme il convient l’humour  —hélas ! inconscient—  de M. H.-G. Wells. Mais il ne s’agit pas d’une boutade. Pour l’auteur, auteur particulièrement sérieux mais aussi évidemment privé du sens de l’art que l’aveugle du sens des couleurs, ne comptent que les statues cataloguées dont on possède les maquettes ! La qualité originale d’une œuvre, le milieu spirituel dont elle fait partie intégrante, lui échappe avec une certitude indiscutable. Et il le prouve bien lorsqu’il déclare plus loin, avec autant de pédantisme béat que de solennelle bêtise : « L’art et le goût de l’art sont de suprêmes offenses au charme inépuisable des créations de la nature ».

 

 

Alors qu’il n’est que trop évident que l’art est exactement le contraire, c’est-à-dire une action de grâce, un cri d’amour et de reconnaissance devant la beauté de la vie !

 

Au pays basque, au déclin d’une belle journée, il n’est pas rare que des couples de paysans se mettent, en pleine campagne, à danser et à chanter, pour rien, pour personne, pour la joie de vivre. L’art n’est pas autre chose, à l’origine, que ce chant et cette danse. Mais revenons à M. Wells, qui se hâte d’ajouter : « L’œil embrasse plus de beauté en contemplant un oiseau qui plane, un poisson qui s’ébat dans l’eau, les reflets dans une chute d’eau ou toutes les ombres qui se dessinent sous les branches d’un arbre éclairé par le soleil que nous, misérables gâcheurs, puissions espérer imaginer ou imiter ».

 

Certes. Mais selon le mot de Debussy : « Les gens n’admettent jamais que la plupart d’entre eux n’entendent ni ne voient » et c’est le rôle de l’artiste de leur ouvrir les oreilles et les yeux à la beauté du monde. Il est trop facile, presque élémentaire, d’énumérer ici ce que chaque artiste nous enseigne au premier coup d’œil : Rubens, la joie triomphante de vivre ; Renoir, la beauté rayonnante de la créature humaine ; Vermeer de Delft, le charme profond des intérieurs où se jouent les lumières et les ombres ; Chardin, la secrète poésie qui vit au cœur des plus humbles objets, des plus usuels. Tout cela et bien davantage encore…

 

Je sais, hélas ! qu’il n’en est plus ainsi : que ces échanges permanents entre la vie et l’art ne nous sont plus sensibles ; que l’art, né spontanément de la vie, a cessé de nous y ramener avec des facultés plus vives et plus aigües. Les esthètes restent confinés dans un étouffant esthétisme qui n’a d’autre fin que lui-même. Les « viveurs », si je puis les appeler ainsi, ceux qui « vivent leur vie » comme ils disent, m’apparaissent aussi peu soucieux de la beauté des oiseaux qui planent que de la grâce des poissons qui s’ébattent, n’en déplaise à M. Wells. Qu’est-ce que cela veut dire sinon que l’homme a cessé de mettre en jeu toutes ses facultés, de vivre pleinement ? C’est là une des raisons les plus profondes de notre décadence. 

 

Céline, contempteur du monde moderne, pas plus que Wells qui s’en fait l’apologiste, n’y ont trouvé de remède. C’est que l’un et l’autre appartiennent à différents égards, à cette décadence que le Docteur Carrel a si bien diagnostiquée : « Nous cherchons à développer en nous l’intelligence. Quant aux activités non intellectuelles de l’esprit, telles que le sens moral, le sens du beau et surtout le sens du sacré, elles sont négligées de façon presque complète. L’atrophie de ces qualités fondamentales fait de l’homme moderne un être spirituellement aveugle ».

 

Et, pour revenir au sujet de cet article, cela explique bien des erreurs de jugement, bien des réticences, bien des silence…

 

Paul Modave.

Hommage à Maurice Bardèche

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

bardeche.jpgHommage à Maurice Bardèche

 

Maurice Bardèche est décédé à 91 ans. Il était l’un des derniers survivants de cette génération de Français qu’on peut qualifier, sans hésitation, de formidables. Mais qui connaît encore son nom aujourd’hui. Qui connaît encore son œuvre?

 

A une époque tranquille, ce professeur, cet historien de la littérature au regard acéré, cet anatomiste subtil et cet homme de synthèses percutantes avait jeté son regard personnel sur chacun des sujets qu’il abordait; sans nul doute et sans difficulté, il a gravi tous les échelons et est devenu un intellectuel de premier rang dans son pays, la France. On peut dire que l’Académie Française se serait levée pour lui, pour l’accueillir en son sein et que des décorations comme la Légion d’Honneur lui auraient été attribuées... Si...

 

Car l’œuvre de Bardèche témoigne de son excellence: les livres de référence qu’il a écrits, sur Proust, Bloy, Balzac, Flaubert et Céline, sont encore reconnus aujourd’hui comme tels. De même, son Histoire du Cinéma, rédigée en collaboration avec Robert Brasillach, est reconnue au niveau international. Ce livre a été édité et réédité, y compris dans une série de poche. On n’oubliera pas non plus son Histoire des femmes. Et, à une époque plus troublée, il a aussi écrit, toujours avec Brasillach, un classique, son Histoire de la Guerre d’Espagne, chronique de la guerre civile espagnole qui a immédiatement précédé la seconde guerre mondiale.

 

Ce fut une époque cruciale dans sa longue vie, un moment d’histoire agité. Les horreurs de la seconde guerre mondiale (que Bardèche n’a jamais niées ou ignorées, contrairement à ce que d’aucuns osent affirmer) ont été suivies par les horreurs de l’après-guerre. Maurice Bardèche, apolitique, a été privé du droit d’exercer sa profession, il a été arrêté, simplement parce qu’il était le beau-frère de Robert Brasillach, son meilleur ami. L’exécution de Brasillach  —un assassinat judiciaire—  a profondément blessé Bardèche, une blessure si intense qu’elle l’a marquée pour le reste de ses jours.

 

Bardèche devient éditeur. Il fonde les éditions «Les Sept Couleurs». Pendant de longues années, il publie le mensuel Défense de l’Occident. Et il écrit des livres politiques (ce qui lui vaudra des poursuites).

 

Quarante ou cinquante ans ont passé depuis la rédaction de ces ouvrages. Qu’en reste-t-il? Indubitablement, certains passages ont été dépassés par les événements, que personne ne pouvait prévoir. Mais on ne pourra pas mettre en doute son souci de maintenir une Europe européenne, de conserver l’identité de ses peuples, de ne pas livrer ceux-ci aux affres d’une américanisation calamiteuse. Surtout, une chose demeure, et c’est son option personnelle: «Etre le dernier tirailleur défendant la liberté et la douceur de vivre».

 

C’est un polémiste virulent qui écrit Nuremberg ou la Terre promise  dans l’immédiat après-guerre (son avocat et ami Jacques Isorni a tenté en vain de le dissuader de publier ce brûlot mais Bardèche était trop profondément touché par la mort de Brasillach pour entendre ce bon conseil). Quelques années plus tard sort Suzanne et le taudis, préfiguration, non, illustration, de cette chère “douceur de vivre”, même dans les circonstances les plus difficiles et les plus dures de la vie. Ce livre est un chef-d’œuvre dans le sens où il est un hommage à la douceur, à l’humour, au sourire qui dit aussi: on ne tuera pas cette belle petite plante.

 

Mais Bardèche est conscient qu’elle est en danger de mort, cette petite plante. Et quand au printemps de 1998, on m’offre un liber amicorum, cette conscience est très nette, car Bardèche écrit à mon intention: «Le drame de notre temps est celui de la dépossession. Nous ne sommes plus maîtres de nos vies, mais pas davantage de nos pensées, de nos goûts, de notre sensibilité —enfin de notre âme. Par la désinformation, la publicité, le mensonge, par la démission des éducateurs et la démission des consciences».

 

En dépit de toutes les différences qui peuvent séparer un Flamand d’un Français, un Européen d’un autre Européen, un homme de droite d’un autre homme de droite, son témoignage m’a donné une fierté modeste, une fierté humble: «Avons-nous été, cher Karel Dillen, les derniers défenseurs de l’arbre de vie contre son triste dépérissement? En défendant votre terre flamande et les hommes de votre race, c’est toutes les autres plantes humaines de toutes les autres races que vous défendez aussi... De même quiconque défend son peuple défend tous les autres peuples, tous les autres hommes. Car la liberté et la vie qu’il demande pour les siens, il les demande en même temps pour les autres par les idées qu’il répand. Par là, votre combat n’est pas seulement pour la Flandre, il est pour tous les peuples de l’Europe, et même au-delà des frontières de l’Europe pour tous les peuples qui ne veulent pas de la prison idéologique».

 

Ensuite vient une phrase qui équivaut à un ordre, puisque Bardèche n’est plus parmi nous: «Et cette aspiration à la vie, elle ne disparaîtra pas avec nous, mais elle nous survivra et même elle sera ressentie un jour comme un combat vital et vos enfants, nos enfants, la reprendront».

 

Vaarwel, Bardèche, Bonne route!

Que lit-on encore de ton œuvre, qu’en lira-t-on demain? Je ne sais pas.

 

Mais ce que je sais, c’est que demeure l’exemple, durable, ineffaçable, indéracinable, comme nous le révèle cette parole de Nietzsche:

«Was er lehrte, ist abgetan;

Was er lebte, wird bleiben stehn:

Seht ihn nur an —

Niemanden war er untertan!».

(Ce qu’il a enseigné a subi l’usure du temps;

Ce qu’il a vécu demeurera debout:

Regardez-le —

De personne jamais il n’a été le valet!).

 

Voilà, Bardèche, ce qu’il reste de l’exemple que nous a donné. Pendant toute ta vie!

 

Karel DILLEN.

(Hommage paru dans Vlaams Blok Magazine, n°9/98).

mercredi, 25 novembre 2009

Le Magazine des livres n°20

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En kiosque

Le Magazine des Livres n°20, Novembre/Décembre 2009

Sommaire

samedi, 14 novembre 2009

Cioran: un hurlement lucide

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1993

41667.jpgCioran: un hurlement lucide

 

par Luis FRAGA

 

S'il s'avère difficile d'écrire un article pour défendre Cioran (Cioran a-t-il besoin d'être défendu?), les problèmes s'accroissent encore si l'on tente le contraire, si l'on veut l'attaquer, soumettre sa pensée aux feux de la critique: il faut s'armer de courage pour s'en prendre à celui qui, sans nul doute, est à la mode depuis plus de dix ans. Lui présenter des «objections», c'est aller à contre-courant. Mais les reproches qu'on lui a adressés, reproches qui ont servi à mythifier à outrance cet «hétérodoxe de l'hétérodoxie» n'allaient-ils pas, eux, à contre-courant.

 

Un brillant anti-système

 

Toute personne qui éprouve de la difficulté à se prononcer en toute sincérité contre Cioran n'a qu'une solution: tenter d'imiter ces hérétiques qui, soumis à la torture, ne persistaient dans leur hérésie que par bon goût. Et se répandre en louanges à l'endroit de Cioran pourrait sembler d'un mauvais goût comparable à celui qui tenterait d'ordonner en un système cohérent les écrits et les interjections mentales de celui qui a affirmé que «la pire forme de despotisme est le système, en philosophie et en tout».

 

L'avantage de l'anti-système est sa maigre vulnérabilité à toute attaque consistant en objections organisées systématiquement. On ne pourrait réfuter Cioran que de manière a-systématique et toujours dans l'hypothèse douteuse que cette réfutation dépasse le discours du Roumain sur le point précis grâce auquel il arrive justement à séduire: «l'éclat».

 

On peut être brillant  au départ de la «lucidité» et également au départ de la «foi», et même des deux à la fois (à la condition que cette cohabitation soit possible), du moment que l'on soit suffisamment subjectif. L'objectivité est rarement brillante et ne parvient jamais à être géniale. Installé dans la lucidité, Cioran a le privilège de devoir être subjectif par la force.

 

La lucidité et la subjectivité déployées par Cioran lui donnent la force suffisante pour faire face à ce qui se trouve devant lui, sans aucune aide ou échappatoire possible. Avec une sincérité qui épouvante, Cioran paraît même jouir de cette manière tourmentée par laquelle il s'inflige l'atroce nécessité de remâcher sans cesse ses interrogations —et même ses obsessions—  essentielles: l'histoire, Dieu, la barbarie, le suicide, le scepticisme et autres labyrinthes. Ceux-ci sont brillamment exposés comme les dépouilles tirées d'un immense dépeçage où l'on aurait séparé les ordures philosophiques pour laisser, dénudé, ce que personne n'aurait imaginé être essentiel.

 

Volonté de style

 

«Mystère. Parole que nous utilisons pour tromper les autres, pour leur faire croire que nous sommes plus profonds qu'eux» (Syllogismes de l'amertume, 1952).

 

Les grands négociateurs professionnels se distinguent avant tout par leur immense clarté dans la façon d'exposer leurs hypothèses, à l'écart de la complexité de ce qu'ils pensent ou de ce qu'ils prétendent. Idem avec le style concis et simple de Cioran. Il ne perd pas son temps dans les arcanes du langage et dans un discours prétendument «profond», et il va droit au but avec une précision de scalpel, dont on ne peut que faire l'éloge.

 

Ayant perdu la foi dans la grammaire («Nous continuons à croire en Dieu parce que nous croyons encore en la Grammaire»), le Roumain connait bien les limites du langage auquel il doit forcément recourir. Aussi le domine-t-il. Le français n'est pas sa langue maternelle et cependant peu d'écrivains vivants le manient avec tant d'efficacité. La proposition de Wittgenstein  —«tout ce que l'on peut exprimer, il est possible de l'exprimer clairement»—  voilà ce qu'auraient dû méditer avec une plus grande attention ceux qui prétendent snober le style «superficiel» de Cioran.

 

Indépendance

 

Avec une sincérité totale, Cioran accepte le défi d'être inclassable. Un poids plus lourd qu'on pourrait l'imaginer: il n'est pas facile d'être apatride et, à la longue, rares sont ceux qui survivent «sans profession ou métier connu».

 

«Lunatique», «hétérodoxe»: voilà, entre autres, les qualificatifs qui ont été appliqués à Cioran. Par ceux qui sont parvenus, tant bien que mal, à le «classifier». Ce sont également les étiquettes qu'acceptent bon gré mal gré ces rares personnages de la vie réelle qui, tirant orgueil de leur extrême lucidité, doivent maintenir coûte que coûte leur acharnement, rester digne d'éloges précisément parce qu'ils sont acharnés plus que de raison, demeurer indépendants, ne pas s'imposer ou ne pas accepter de se voir imposer une limite quelle qu'elle soit. Pendant la Renaissance, on appelait «humaniste» l'homme non unidirectionnel. Cioran rejeterait sans aucun doute cette désignation avec véhémence; de la même façon, il se moquerait très probablement de tout qui tenterait de le classer comme «réactionnaire», ou comme «sceptique»,  comme «païen» ou lui attribuerait d'autres étiquettes simplificatrices du même genre.

 

L'indépendance, comprise comme élimination progressive de tous points de référence, est un exercice douloureux, dont les douleurs ne disparaissent jamais. Difficile, par ailleurs, d'évaluer jusqu'à quel point le résultat obtenu compense le prix payé. De tous les génies du XIXième siècle, seul Wagner et Goethe se sont «bien débrouillés». Nietzsche, Hölderlin, Rilke et d'autres, nombreux, ont produit des écrits que l'on peut qualifier d'enviables. Et bien qu'ils puissent tous affirmer, avec Cioran, que «naître, vivre et mourir trompés, c'est ce que font les hommes», aucun d'entre eux, à l'évidence, n'a atteint l'indépendance à laquelle ils prétendaient parvenir; peut-être s'en sont-ils approchés, certains plus que d'autres, mais il ne s'y sont jamais installés, n'ont pas eu les pleins pouvoirs de l'homme réellement indépendant.

 

Par rapport au XIXième siècle, le XXième siècle offre peut-être l'avantage d'être réellement plus indépendant (bien que cela soit également difficile). Mais les hommes moyens continuent encore à exiger de tout un chacun des «étiquettes», des «professions» ou des «métiers». Ces hommes moyens font montre d'une attitude proche de celle de ces Etats qui aspirent à tout contrôler dans la société. Ils ne se sentent à l'aise face à une personne ou à un phénomène que s'ils peuvent le classer, lui donner un titre ou une étiquette, le conceptualiser. Titre, étiquette ou concept qui déterminera, par déduction, le type de relation qu'il faut avoir, au nom des conventions, avec l'étiquetté, le titré, le conceptualisé. «Les hommes ont besoin de points d'appui, ils veulent la certitude, quoi qu'il en coûte, même aux dépens de la vérité».

 

Le médiocre de notre temps tente d'ôter de sa vue, de ses pensées, tout ce qu'il ne comprend pas. Tout ce qu'il est incapable de comprendre. «Je suis comptable», «je suis avocat», «je suis vendeur» (parfois, plus souvent que nous ne l'imaginons, on recourt à l'euphémisme pour rendre digne un métier dont on perçoit bien les misères). Voilà donc les déclarations officielles à faire obligatoirement de nos jours en société.

 

Que des hérétiques comme Cioran ne confient pas au Saint Office Collectif leur titre de dépendance ou leurs numéros d'identification sociale, voilà qui les soumettra irrémédiablement à la réprobation générale et même à l'isolement. Ils ne réveilleront que la curiosité du petit nombre, ou la sympathie de personnalités plus rares encore, mais ils devront constater et accepter d'être toujours observés (et même jugés) avec la même colère critique que l'on appliquait jadis aux pires des hérétiques. L'indépendance coûte cher.

 

Cioran, l'Anti-Faust

 

On a parlé de Cioran comme du porte-drapeau de la philosophie du renoncement, de la «non-action» et du désistement. Ceux qui décrivent Cioran de la sorte prétendent rapprocher notre exilé roumain de son maître Bouddha et n'oublient généralement pas de mentionner son célèbre adage: «Plus on est, moins on veut». Ou de nous rappeler, en guise de plaisanterie, sa description fort crue de l'acte d'amour: il s'agirait «d'un échange entre deux êtres de ce qui n'est rien d'autre qu'une variété de morve». Le rapport qui existe entre Cioran et l'idée d'action (ou si l'on préfère, le désir) est un rapport de conflit.

 

Personne ne niera que le principe faustien de la souveraineté de l'action soit radicalement opposé au scepticisme féroce de celui qui élève l'inaction au rang de catégorie divine. Et même si l'action et le goût pour l'action sont compatibles avec la lecture de Cioran, nous nous trouvons néanmoins en présence de deux extrêmes irréconciliables. Un livre de Cioran est inimaginable sur la table d'un broker  de New York. Et personne n'aura l'idée saugrenue d'emmener des livres de Cioran lors d'une régate de voiliers, d'une expédition dans l'Himalaya ou d'une escapade avec une belle femme dont on vient de faire la connaissance. Cependant, les fanatiques de l'action les plus intransigeants pourront se lancer dans une activité exceptionnelle, où ne détonneraient absolument pas certaines pages de Cioran: traverser un désert.

 

Trois critiques de Gus Bofa sur Céline

celine-et-arletty.jpgTrois critiques de Gus Bofa sur Céline

Article paru dans "Le Bulletin célinien", n°297, mai 2008

Gustave Blanchot, dit Gus Bofa (1883-1968), fut un illustrateur et un affichiste français de grand talent, bien oublié aujourd’hui. Grâce à la brève mais florissante vogue du livre de luxe dans la France des années 20, il parvint à réaliser la synthèse entre le dessin et l’écriture, laissant une œuvre singulière qu’il faudrait redécouvrir. Entre les deux guerres, il collabora, comme critique littéraire, au mensuel Le Crapouillot de Jean Galtier-Boissière. Son ami Pierre Mac Orlan a dit de lui : « Gus Bofa est avant tout un écrivain qui a choisi le dessin pour atteindre ses buts. Un texte de Bofa, un dessin de Bofa sont construits dans la même matière et l'un et l'autre sont animés de ce même rayon de poésie humoristique qui comprend tout ce qui tient une place entre la vie et la mort. ». Nous reproduisons ici les trois notes de lecture qu’il consacra à Céline en 1933 et 1937.

 

Voyage au bout de la nuit[

 

L'autre roman-dreadnought. Autant le livre de M. Mazeline est habilement construit et armé de tous les perfectionnements les plus récents, autant celui-ci est désobligeant, non-conforme aux règles, en quelque sorte difforme. Et pourtant il flotte. Et il y a là-dedans le meilleur et le pire : des pages d'humour excellentes, un très grand souffle de vérité profonde, émouvante, sous ce vagabondage délirant qui n'en finit plus, et surtout une rogne persistante, obstinée, souvent puissante, qui réjouira ou navrera le lecteur, dès l'abord, selon son goût et son tempérament. Ce mélange un peu chaotique, ce choix délibéré d'être sincère avec soi, au prix même d'être déplaisant, peuvent bien signifier le génie, dans le cas de M. Céline. Il est bien vrai qu'il y a, dans ce trop gros bouquin, quelque chose de considérable, d'anormal, d'inquiétant, mais de neuf, qui rebute d'abord et séduit ensuite, d'un attrait bien étonnant. Par une sorte de perversité inexplicable, l'auteur a adopté, pour rendre plus difficile la lecture de cette confession, une sorte de langue nouvelle, mêlée de péquenot et d'argot, que rien dans le personnage de son héros ne peut justifier et que lui-même oublie parfois pour parler en français. L'effet en est curieux, mais sans charme.

(Le Crapouillot, 1er février 1933)

 

L'Église

 

Cette pièce énigmatique n'a pas été jouée encore, et, malgré le succès du Voyage au bout de la nuit, ne le sera probablement jamais.

C'est dommage d'ailleurs, car elle ne prendrait son véritable sens qu'à la scène.

L'audace de certaines scènes y trouverait sa valeur de scandale possible, qui passe iaperçue à la lecture.

Le livre de Céline nous a étonné surtout par sa masse, aggravée d'un argot fanriqué exprès, plus encore que par la qualité ou la violence des idées de l'auteur.

La pièce, plus schématique, moins travaillée et surchargée, ne nous fournit plus cette sorte d'inquiétude qui donnait au roman sa qualité.

Céline n'est pas un pamphlétaire né. toute son énergie satirique est artificielle. c'est un effort brutal et vite vulgaire, pour sortir de soi-même, qui est timide, passif, bon et pitoyable.

Cet effort apparaît constamment à la lecture de ces cinq actes. il serait insensible au théâtre.

L'acte de la S.D.N., qui est un excellent sketch de revue, y serait amusant. Et certaines scènes – si la censure les laissait passer – y prendraient un caractère d'obscénité, capable d'émouvoir sûrement le public difficile de bourgeois moyens, que l'auteur veut atteindre d'abord.

Les fidèles de cette fameuse Eglise, qu'il renie si énergiquement.

 

(Le Crapouillot, 15 novembre 1933)

 

NDLR : Cette pièce fut jouée pour la première fois, par une troupe d’amateurs, le 4 décembre 1936, au Théâtre des Célestins, à Lyon.

 

Mea culpa suivi de La vie et l'œuvre de Semmelweis

 

La déconvenue parallèle de Céline s'exprime plus vertement que celle de Gide.

Elle est aussi plus totale et définitive.

Ecoeuré de l'Etat bourgeois, Céline a voulu croire au communisme russe. Déçu à nouveau, sa haine et son dégoût du monde occidental se doublent désormais d'une haine et d'un dégoût semblables pour l’U.R.S.S.

il exprime ce double sentiment – à son ordinaire – par un feu d'artifice d'imprécations choisie, pleines de force et de couleur, qui, étant cette fois admirablement en situation, prennent toute leur valeur littéraire. le morceau me paraît atteindre au chef-d'oeuvre du genre et mérite de figurer dans les anthologies.

Au point de vue critique, on pourrait trouver à y reprendre. Il détaille et précise mal ses griefs et ses reproches. Mais il n'est pas dans la nature de Céline de spéculer, non plus que dans celle d'une mitrailleuse de faire des cartons à la foire.

Parmi les éclats de tonnerre de son style, on discerne à peu près la solution que Céline propose au problème social.

Il voudrait abattre sommairement la moitié des humains, et massacrer sans façon l'autre moitié.

Ce remède, radical au moins en ce qui concerne le chômage, me semble mériter d'être longuement pesé.

Dans la seconde partie de Mea culpa (sans prendre sa part du titre, j'imagine!) il publie une réédition de sa thèse de doctorat sur la vie douloureuse et méconnue de Semmelweiss, "l'inventeur" de l'antisepsie.

Cet essai, écrit (pour un tas de raisons excellentes) dans une langue plus sévère et réservée que le Voyage ou Mort à crédit, n'en laisse pas moins apparaître l'ardeur, l'exubérance de son tempérament littéraire, comprimé comme la vapeur d'essence dans un moteur d'avion où chaque étincelle provoque une explosion et actionne les pistons dans les cylindres.

A l'état de prime jeunesse qu'il nous montre dans cette thèse d'examen, il rappelle par plusieurs points le tempérament d'un autre écrivain qui eut son heure de célébrité : Joseph Delteil.

Il y eut même un précurseur à l'un et à l'autre, oublié aujourd'hui, qui ne pouvait lui aussi écrire qu'à coups de canon et de hache, et qui avait nom : Georges d'Esparbès.

Mais c'étaient de pauvres petits canons de l'époque, qui paraissent risibles à côté de l'artillerie de dreadnought de Céline !

(Le Crapouillot, 15 février 1937)

 

 

samedi, 07 novembre 2009

L.-F. Céline et Jacques Doriot

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L.-F. Céline et Jacques Doriot

Textes parus dans "Le Bulletin célinien", n°297, mai 2008

 

Durant l’Occupation, deux grands partis étaient en concurrence : le PPF de Jacques Doriot et le RNP de Marcel Déat.  Les collaborationnistes, eux, se partageaient tout naturellement en deux camps : ainsi, au sein de la rédaction de l’hebdomadaire Je suis partout, Lucien Rebatet était un partisan de Déat alors que Pierre-Antoine Cousteau, lui, soutenait Doriot. La parution d’une monographie consacrée au chef du PPF nous donne l’occasion de revenir sur les relations entre lui et Céline.

 

   Une chose est certaine : même s’il lui reconnaissait du talent, Céline estimait Marcel Déat suspect en raison de ses anciennes fréquentations maçonniques et de ses liens étroits avec le parlementarisme de la IIIe République.

Ainsi, dans sa correspondance à Lucien Combelle, Céline n’a que sarcasmes  pour le chef du Rassemblement National Populaire ¹. Avant-guerre, Céline ne réservait d’ailleurs pas un sort plus enviable à Doriot, le raillant comme tous ceux (La Rocque, Maurras,…) qu’il qualifiait ironiquement de « redresseurs nationaux » ou de « simples divertisseurs » : « Alors avec quoi il va l’abattre Hitler, Doriot ? (…) Il veut écraser Staline en même temps ? Brave petit gars ! Pourquoi pas ? D’une pierre deux coups !... (…) Nous sommes en pleine loufoquerie » ². Céline, chantre d’une alliance continentale censée prévenir une guerre fratricide, voyait naturellement d’un mauvais œil les menées qu’il estimait bellicistes.

 

   Mais, sous l’Occupation, son appréciation de Doriot évolue,  celui-ci ayant adopté le tournant radical que l’on sait après la rupture du pacte germano-soviétique. Le chef du PPF lui-même s’engage en septembre 1941 dans la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme qui vient de se créer. Dans un entretien que Céline accorde peu de temps après à l’hebdomadaire doriotiste L’Émancipation nationale, il déclare : « Doriot s’est comporté comme il a toujours fait. C’est un homme. Eh oui, il n’y a rien à dire. Il faut travailler, militer avec Doriot. (…) Chacun de notre côté, il faut accomplir ce que nous pourrons. Cette légion si calomniée, si critiquée, c’est la preuve de la vie. J’aurais aimé partir avec Doriot là-bas, mais je suis plutôt un  homme de mer, un Breton. Ça m’aurait plu d’aller sur un bateau, m’expliquer avec les Russes. » ³. Pour les besoins de sa défense, Céline démentira après-guerre avoir tenu ces propos. Mais, dans une lettre adressée au même moment à Karen Marie Jensen, il écrivait : « J’irai peut-être tout de même en Russie pour finir. Si les choses deviennent trop graves, il faudra bien que tout le monde participe – ce sera question de vie ou de mort – si cela est vivre ce que nous vivons ! 4 »

 

   Quelques mois plus tard, le dimanche 1er février 1942, a lieu au Vélodrome d’Hiver un meeting organisé par la LFV sous la présidence de Déat avec Doriot comme invité vedette.  Céline y assiste en compagnie de Lucette Destouches. Une photographie en atteste, légendée de la sorte dans L’Émancipation nationale : « Le grand écrivain Louis-Ferdinand Céline a assisté à la réunion du Vél’d’Hiv’. Le voici suivant avec attention l’exposé de Jacques Doriot,  “Ce  que j’ai vu  en  U.R.S.S.“ » 5 .

   Alors que Doriot a regagné le front de l’Est, Céline lui adresse une lettre qui sera publiée dans le mensuel de doctrine et de documentation du PPF, les Cahiers de l’émancipation nationale. Céline y préconise notamment l’instauration d’un parti unique, « L’Aryen Socialiste Français, avec Commissaires du Peuple, très délicats sur la doctrine, idoines et armés » 6. Un passage vilipendant l’Église ayant été caviardé, il critiquera vivement « Doriot, formel et devant témoins, [qui avait juré]  de  tout  imprimer » 7. On observera que, durant toute l’Occupation, aucune lettre de Céline n’est publié dans L’Œuvre, le quotidien de Marcel Déat.

 

   Après une permission, Doriot rejoint à nouveau le Front de l’Est en mars 1943. Occasion pour son journal Le Cri du peuple de solliciter, durant une quinzaine de jours, les réactions de personnalités, dont Céline qui, laconique,  aurait déclaré : « Je n’ai pas changé d’opinion depuis août  [en fait, septembre] 1941, lorsque Doriot est parti pour la première fois » 8.

 

   Comme on le sait, toutes les lettres que Céline adressa aux journaux de l’occupation n’ont pas été publiées. Un exemple fameux : la lettre sur la France du nord et du sud adressée de Bretagne à Je suis partout (juin 1942). Jugée impubliable par la rédaction, elle fut conservée par le secrétaire de rédaction, Henri Poulain, pour n’être exhumée qu’un demi-siècle plus tard 9.

Apparemment, une autre lettre – adressée en août 1943 à Jacques Doriot – aurait subi le même sort car elle mettait en cause des cadres du PPF. Elle n’était d’ailleurs peut-être pas destinée à la publication, celle-là, encore que Céline l’aurait remise personnellement à Doriot. Voici ce qu’en écrit Victor Barthélemy, secrétaire général du parti et familier des réunions dominicales à Montmartre  : « Un dimanche de septembre [1943], je profitai de l’occasion pour dire deux mots à Céline à propos d’une lettre qu’il avait adressée, ou plutôt portée lui-même à Doriot, après l’affaire Fossati [NDLR : cadre du PPF exclu pour avoir entamé, sans l’aval de Doriot, des négociations avec le RNP en vue de la création d’un parti unique]. Céline affirmait qu’il n’était pas étonnant que Fossati « fût un traître », car avec ce nom en i et son origine « maltaise » c’était couru d’avance… D’ailleurs  il était  urgent que Doriot se débarrasse de ces Méditerranéens douteux (toujours les noms en i ou en o) tels que Sabiani, Canobbio, etc., et aussi de ce Barthélemy, dont le patronyme commençant par « Bar » pouvait à bon droit laisser supposer des origines juives. (À l’époque, on prétendait volontiers que les préfixes Ben, Bar, Ber pouvaient constituer présomption d’origines juives.) Cette lettre, Doriot me l’avait fait lire, en riant à gorge déployée : “Ce Ferdinand, il est impayable !”, avait lancé Doriot. J’en étais, pour ma part, un peu irrité, et bien décidé à dire à Ferdinand ce que j’en pensais. Il prit lui aussi la chose en riant et l’affaire fut « noyée » comme il convenait » 10. Maurice-Ivan Sicard, autre cadre du PPF, écrira, de son côté, que « les lettres que [leur] envoyait Céline étaient délirantes, difficilement publiables » 11.

 

   Plus tard, lorsque les jeux seront faits, Céline daubera sur le jusqu’au-boutisme des ultras et fera, dans D’un  château l’autre, un portrait sans complaisance des rescapés de la collaboration échoués dans le Bade-Wurtemberg. Quand on lui reprochera d’avoir fréquenté Doriot  à  plusieurs reprises, il écrira : « Il n’était point bête et mon métier de médecin et de romancier est de connaître tout  le monde » 12.  Manière de dire que seule sa curiosité était coupable…

Marc LAUDELOUT

Notes

1. « 43 lettres à Lucien Combelle (1938-1959) » in L’Année Céline 1995, Du Lérot-Imec Éditions, 1996, pp. 68-156. Relevons que ce sentiment n’était pas réciproque :

 « Céline, cette source vivante du verbe, qui,  après des livres prophétiques et macabres, rabelaisiens et pessimistes, avait publié Les Beaux draps, ceux-là mêmes que les bien-pensants vichyssois n’auraient pas voulu qu’on lave à la fontaine, et que, justement, il fallait blanchir avant de refaire le lit de la France » (Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p. 774).  Voir aussi cette relation d’un dîner chez le docteur Auguste Bécart, ami doriotiste de Céline : «  On arrive ainsi à 8 h moins le quart. Lecourt et le Dr Bécart viennent nous prendre. Nous dînons chez celui-ci avec Céline, etc. Très intéressant. Pluie de vérités truculentes sur tout le monde. Attaques raciales contre Laval “nègre et juif”, etc. Au demeurant très sympathique. » (« Journal de guerre de Marcel Déat », note du 23 décembre 1942, Archives nationales. Extrait cité par Philippe Alméras in Les idées de Céline, Berg International, coll. « Pensée Politique et Sciences Sociales », 1992, p. 172.)

2. L’École des cadavres, Denoël, 1938, p. 257. Doriot est également évoqué pages 84 et 174. Voir aussi Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937, p. 310.

3. Lettre inédite à Karen Marie Jensen, 8 décembre [1941], citée par François Gibault in Céline. Délires et persécutions (1932-1944), Mercure de France, 1985, p. 288.

4. Ivan-M. Sicard, « Entretien avec Céline. Ce que l’auteur du Voyage au bout de la nuit “pense de tout ça...” », L’Émancipation nationale, 21 novembre 1943. Repris dans Cahiers Céline 7 (« Céline et l’actualité, 1933-1961 »), Gallimard, 1986, pp. 128-136.

5. Albert Laurence, « Le Meeting », L’Émancipation nationale, 7 février 1942.

6. « Lettre à Jacques Doriot », Cahiers de l’Émancipation nationale, mars 1942, repris dans Cahiers Céline 7, op. cit., pp. 155-161.

7. Lettre à Lucien Combelle, 17 mars [1942] in L’Année Céline 1995, op. cit., p. 117.

8. « Le Départ de Doriot, Céline a dit... », Le Cri du peuple de Paris, 31 mars 1943,  repris dans Cahiers Céline 7, op. cit., p. 185.

9. Louis-Ferdinand Céline, Lettres des années noires, Berg International, coll. « Faits et Représentations », 1994, pp. 29-35.

10. Victor Barthélemy, Du communisme au fascisme. L’histoire d’un engagement politique, Albin Michel, 1978, pp. 365-366.

11. Saint-Paulien, Histoire de la collaboration, L’Esprit nouveau, 1964, p. 257.

12. Lettre à Thorvald Mikkelsen, 2 juillet 1946 in Louis-Ferdinand Céline, Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, Gallimard, 1998, p. 257.

 

 

 

Jacques Doriot

DoriotLaFrance.jpgFormé dans les écoles du Komintern à Moscou, député communiste à 25 ans, maire de Saint-Denis à 32, Jacques Doriot fut au sein du PCF le grand rival de Maurice Thorez. Pour avoir refusé de se plier aux exigences de Staline et prôné trop tôt un rapprochement avec les socialistes, il est exclu du Parti en 1934.

Deux ans plus tard, il fonde le Parti populaire français (PPF), qui n’est pas encore un parti fasciste au sens strict du terme, mais qui le deviendra pendant l’Occupation. Rallié prudemment à la Collaboration tant qu’a subsisté l’hypothèque du pacte germano-soviétique, Doriot ne brûlera vraiment ses vaisseaux qu’en juin 1941, lorsque les divisions allemandes se lanceront à l’assaut de l’URSS. Il réclame alors la création d’une Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) et, de tous les dirigeants des grands partis collaborationnistes, il sera le seul à combattre sur le front de l’Est, à plusieurs reprises.

Alors que les Allemands se méfient de lui, il affiche désormais sa volonté de faire du PPF « un parti fasciste et totalitaire » (novembre 1942) et finit par trouver auprès des SS le soutien que lui a refusé Otto Abetz sur instruction d’Hitler. Il trouvera la mort en Allemagne, le 22 février 1945, mitraillé sans doute au hasard par des avions alliés.

Ainsi disparaissait l’une des figures les plus énigmatiques de l’histoire politique française du XXe siècle. Le livre de Jean-Claude Valla retrace le destin singulier d’un personnage dont Pierre Pucheu, qui ne l’aimait guère, a pu écrire : « À vrai dire, je n’ai pas connu dans notre génération d’homme ayant reçu à tel point du ciel des qualités d’homme d’État. »

 

Jean-Claude Valla, Doriot,  Éd. Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2008, 128 pages, ill. (12 €).

samedi, 31 octobre 2009

Dominique de Roux et L.-F. Céline

derouxceline2.jpgDominique de Roux et L.-F. Céline

Textes parus dans "Le Bulletin célinien", n°286, mai 2007

 

 

Passionnante correspondance que  celle de  Dominique de Roux.  Les lettres du début des  années  soixante  intéresseront  particulièrement les lecteurs de ce Bulletin.  On y voit  un  jeune homme  de vingt-sept ans préparer activement un monument qui éblouira plusieurs générations de céliniens.  Comme l’écrit Jean-Luc Barré, l’éditeur de cette correspondance, « Dominique de Roux prend conscience de l’ostracisme qui pèse, depuis la fin de la guerre,  sur  une  génération de poètes et d’écrivains frappés d’interdit en raison de leurs prises de position politiques, nonobstant le génie de quelques-uns dont Céline. Cette prise de conscience sera à l’origine, en 1961, de la création des Cahiers de l’Herne, précisément conçus pour réhabiliter ou faire mieux connaître l’œuvre des “grands réprouvés” de la création contemporaine, française et étrangère. » 

 

   Quelques mois avant la mort de Céline, en mars 1961, Dominique de Roux songe à lui écrire afin de solliciter son témoignage sur Bernanos auquel sera consacré le deuxième « Cahier de l’Herne » (le premier fut centré sur René-Guy Cadou). Le 10 juillet, il écrit à Robert Vallery-Radot : « Je devais aller le voir pour notre Cahier Bernanos, saisir une interview sur votre ami. C’est à Bernanos mort qu’on a demandé un témoignage sur le Céline enterré. Le Figaro a ressorti un article qui traite du Voyage au bout de la nuit»

Comment ne pas rêver à cette rencontre Céline – de Roux ¹ et regretter que le premier n’ait pas pu prendre connaissance de cette somme à lui consacrée ?

   Pour ce cahier, il rencontre, au début de l’année suivante, Lucien Rebatet qui lui donnera un intéressant témoignage : « L’homme m’a reçu très gentiment, avec une gentillesse dont je ne doutais pas ; mais vous le connaissez, petit, nerveux, robuste, avec des muscles longs, des muscles sur les mains, une tête carrée, des yeux vifs, une voix grave, de la gorge, un peu capitaine de la marine en bois, s’exclamant, riant, s’enquérant tour à tour, violent parfois et avide de se renseigner. (…) Ce que je regrette le plus en cet homme courageux dont le premier abord m’a pris, c’est son esprit antisémite, toujours, et  une certaine méchanceté encore, qui fait des Décombres un livre insupportable malgré des pages magnifiques et un chapitre sur Maurras, Pujot, l’A. F. de la rue du Boccador qui est un portrait d’anthologie. » Et de conclure le portrait par cette formule tranchante comme un couperet : « Rebatet, c’est Robespierre ».

   En août, on le voit travaillant à ce numéro qui sortira de presse au début de l’année suivante : « J’émerge de plusieurs semaines de travail consacrés entièrement à Céline. Je n’ai pas levé les yeux de kilos de documents : revues, coupures de presse, etc.,  les classant, les relevant en une bibliographie précise. J’ai remonté de la nuit à l’aurore. Quel poète énorme, quel lyrisme ! Quelle pitié ! »

   derouxceline3.jpgEn octobre, il rencontre deux autres témoins importants : Marcel Brochard, qui lui fera des confidences (dont certaines absentes de son témoignage), et Évelyne Pollet qui vint le voir à Paris : « Céline disait : une ville pour moi est une femme. Étreintes rapides dans les hôtels du bord de l’Escaut, détails croustillants (il faisait vite et une fois lavé interdisait qu’on lui parle amour). Évelyne, cinquante-cinq ans, belle encore, haute stature flamande, blonde, yeux bleus, de beaux restes, pleure sur son amant. »

   Bien entendu, Dominique de Roux se rendit à plusieurs reprises à Meudon : « Cet après-midi, le jour tombant, je l’ai passé assis sur des nattes dans le bureau de Céline à Meudon, sa femme Lucette si fine, si aérienne, si gracieuse, parlant de Louis, de Saint-Malo… »

Portrait sensible qui ne sera pas payé de retour : Lucette le qualifia de « brillant avorton, visqueux à force d’être brillant », lui reconnaissant tout de même une « belle énergie littéraire » ² — et pour cause.

   Alors que ce premier cahier de l’Herne consacré à Céline est sorti de presse, il songe déjà à « un livre (…) qui ne serait pas une vie de Céline, mais comme Bernanos a écrit sa vie de Drumont. ». En juin 1965, il est aux prises avec cet ouvrage : « Cela m’épuise. L’écriture est comme l’amour fou, une obsession, un penchant morbide et l’effort m’éreinte. »

On regrette évidemment que, dans cette correspondance choisie, il n’y ait aucun écho de la réception critique tumultueuse de son livre La mort de L.-F. Céline et notamment de la polémique avec l’équipe de Tel Quel. Il faut surtout regretter que l’éditeur de cette correspondance n’ait pas pris contact avec Marc Hanrez, autre pionnier célinien, auquel Dominique de Roux adressa une centaine de lettres dont, on s’en doute, beaucoup concernent précisément Céline.

 

Marc LAUDELOUT

 

1. Elle eut lieu néanmoins (voir ci-contre).

2. Marc-Édouard Nabe, Lucette, Gallimard, 1995, pp. 66-67.

 

 

 

Chronologie de Roux / Céline

Janvier 1963.  Parution  du premier numéro des  Cahiers de l’Herne consacré à Céline. Grand succès. Dominique de Roux y annonce la création d’une « Société des Amis de Céline ». Le siège de la société est fixé à Meudon, route des Gardes. Cette association, dont l’un des buts était de réunir de la documentation sur Céline, eut une existence éphémère, d’autant qu’elle fut rapidement désavouée par Lucette Destouches. « J’ai trop fréquenté un moment les “amis” de Céline pour vous dire qu’une telle association était impossible, tant les querelles, mesquineries, jalousies éclatent et fusent sans cesse. Madame Destouches n’avait fait que jeter de l’huile sur ce feu tremblant. Alors à quoi bon ? Mieux vaut continuer de défendre sa mémoire et son œuvre en en parlant, en écrivant sur Céline et nous retrouver comme aujourd’hui amis, grâce à l’auteur du Voyage » (lettre de Dominique de Roux à Edmond Gaudin, 1968).

 

deroux.jpgMars 1962 : Dominique de Roux souhaite la réédition de Bagatelles pour un massacre. Refus en mai de Gallimard. « Je le trouve révulsé. Il me montre une lettre qui vient de lui arriver de la maison Gallimard, en réponse au vœu qu’il exprimait de savoir, avant Cahier, si seraient rééditées Bagatelles pour un massacre. Non, lui dit-on, en aucune façon il ne sera procédé à cette réédition, ni dans l’immédiat ni dans un futur volume de Céline en Pléiade. C’est définitif. Paulhan bien d’accord là-dessus lui aussi. Dominique de Roux râle, frappe la lettre de son coupe-papier, conchie  les lâchetés éditoriales ! »  (Christian Dedet,  Sacrée  jeunesse,  op.  cit., p. 385). Deux ans plus tard, le projet d’une « anthologie » des pamphlets de Céline, par les éditions de L’Herne, ne sera pas davantage couronné de succès.

 

Mars 1965. Second numéro spécial des Cahiers de l’Herne consacrés à Céline.

 

Hiver 1966 : Parution de La mort de L.-F. Céline aux éditions Christian Bourgois. Violente polémique  entre  Dominique de Roux et  la revue Tel quel,  dirigée par Philippe Sollers, suivie d’un non moins violent réquisitoire de Jean-Pierre Faye dans Le Nouvel Observateur. Le livre obtient le « Prix Combat » au début de l’année suivante.

 

Mars 1968 : Première réédition (partielle) des « Cahiers de l’Herne » sur Céline en format de poche (Éd. Pierre Belfond). La seconde paraîtra en 1987 (Le Livre de poche).

 

Avril 1969 : Participation de Dominique de Roux à l’émission « Bibliothèque de poche » de Michel Polac consacrée à Céline. Déprogrammée, cette émission sera finalement diffusée en deux parties, les 2 et 18 mai, sur la 2ème chaîne de la télévision française.

 

1972 : Réédition en un volume, sans l’iconographie mais avec la bibliographie mise à jour, des deux Cahiers de l’Herne.

 

Mars 1997 : La revue Exil (H) publie un numéro spécial « Dominique de Roux / Louis-Ferdinand Céline » sous la direction de Pascal Sigoda.

vendredi, 30 octobre 2009

Les "Ailleurs" d'Henri Michaux

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Les Ailleurs d'Henri Michaux

 

Sous le titre Les Ailleurs d'Henri Michaux, la revue belge Sources  a publié les actes d'un colloque consacré au grand poète à Namur en 1995. Des nombreuses interventions, nous citerons un passage de Sylviane Gora; intitulée «Henri Michaux: sur la Voie orientale»: «Ce par quoi Michaux va être fasciné, d'une manière indiscutable, est cette possibilité pour un Oriental d'accepter et d'assumer tout sentiment d'incomplétude de soi. Michaux se détourne de la civilisation judéo-chrétienne dans laquelle il se sent si mal, s'expatrie au moins le temps d'un voyage, s'exile vers des pays autres, pays différents qui ne considèrent pas forcément la Raison comme une faculté universelle, qui font voler en éclats le principe d'identité et d'unité du sujet. L'Occidental décentré va trouver une autre orientation en Orient. Plusieurs principes spirituels ou principes philosophiques vont, dans une certaine mesure, le fasciner ou le séduire. Mais ces éléments vont ou non se couler subtilement dans son œuvre littéraire et picturale pour former ce fameux “alliage” dont parlait René Bertelé. Mais au fait, de quel Orient s' agit-il, de quelle religion en l'occurrence: le bouddhisme chinois ou tibétain, le taoïsme, le shintoïsme, etc.? De quelle peinture orientale s'agit-il? Ne risque-t-on pas de ressasser de belles généralités en tentant de la sorte de pointer du doigt tel ou tel aspect typiquement oriental chez Michaux? Ceci est beaucoup plus qu'une précaution oratoire. A mes yeux, le piège est réel. La seule manière de s'en sortir est de signaler, çà et là, et dans les limites de cette étude, d'étranges et de troublants accords entre cet Occidental par force et cet Orient à la fois réel et mythique. Ce que l'on peut dire, sans trop se tromper je crois, c'est que Michaux a été fasciné par l'art oriental (la peinture et la musique) ainsi que par la religion orientale, en particulier par la pensée hindoue en raison de son caractère foncièrement prométhéen. Dans sa longue quête de la connaissance, Michaux a été attiré par cette manière dont les Hindous considèrent la perte. Il constate en lui cette béance ontologique qui, dans le cadre européen, est perçue comme une faiblesse difficilement réparable. Il va être étonné par le renversement de perspective qu'opèrent les Orientaux dans ce domaine. Lui, le dépouillé, le pauvre hère, le désorienté va considérer la souffrance et le dépouillement de l'être comme des éléments nécessaires, vitaux, révélateurs de la condition humaine, en premier lieu parce que ces éléments donnent à l'être une conscience corporelle. François Trotet, dans «Henri Michaux ou la sagesse du vide», démontre combien la souffrance, notion centrale dans le bouddhisme, à la fois physique et intérieure chez le poète, est utile car elle permet à l'être d'acquérir une conscience corporelle dégagée de tout dualisme». A signaler aussi les bons textes de Jean-Luc Steinmetz («Le démon de Henri Michaux») et de Madeleine Fondo-Valette («Michaux lecteur des mystiques») (J. de BUSSAC).

 

Les ailleurs de Henri Michaux, Sources, Maison de la Poésie, (rue Fumal 28, B-5000 Namur),1996, 250 pages, 100 FF.

mercredi, 28 octobre 2009

Le Japon d'André Malraux

4154TYPFYKL__SL500_AA240_.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Le Japon d'André Malraux

 

Michel Temman consacre un remarquable livre au Japon d'André Malraux. André Brincourt écrit dans sa préface: «N'oublions pas que, devant ce que ses contemporains appelèrent “Le déclin de l'Occident” ou “La crise de l'Esprit”, alors que le surréalisme naissant faisait table rase des valeurs, le jeune Malraux voulait, lui, chercher d'autres valeurs, un “autre” monde. Cet autre monde, ce fut l'Asie. N'oublions pas que l'une des dernières approches avant la mort fut d'aller contempler la cascade de Nachi pour y rejoindre la “lumière” dans tous ses symboles, pour y nourrir une dernière fois ses rêves de spiritualité. Il nous l'avait dit: l'appel de l'Asie était celui de l'âme  —cette surréalité en marge de l'apparence, ce dépassement promis à notre “solitude sinistre”, l'une des formes possibles de l'Anti-destin... Notre chance est que Michel Temman, par cette lumière même, éclaire pour nous l'essentiel d'une œuvre, et, se distinguant de maintes biographies trop complaisamment tournées vers l'Aventurier, y trouve le fondement même d'une pensée qui révèle plus que jamais son orientation métaphysique. “L'Occident veut comprendre par l'analyse, l'Orient veut vivre le divin”, disait Malraux». André Malraux s'était intéressé au seppuku de Mishima. M. Temman écrit à ce propos: «Yukio Mishima ne s'est pas suicidé. André Malraux est catégorique: son acte n'était pas un suicide car le seppuku  est d'abord un rite qui ignore l'idée de la mort. Il y avait donc surtout dans l'acte de l'écrivain japonais, outre une portée politique et idéologique très nette, une charge rituelle forte chargée du poids du passé. Aussi Malraux pense-t-il qu'il faut distinguer “la mort romaine” et rituelle de Mishima et ce que l'on croit être une “mort romantique”. “Pour Mishima, expliqua-t-il à Tadao Takemoto, la mort en tant qu'acte, a une réalité très forte”. “Il me semble que l'acte de Mishima a été le moyen de posséder sa mort”. En tout cas, ajoute-t-il, “je me sens plus à l'aise avec le “suicide” de Mishima (qui n'est pas un suicide) qu'avec le tuyau à gaz”. Pourquoi “l'acte Mishima” ne choque-t-il pas outre mesure André Malraux? D'abord parce que, comme il le précise encore à Tadao Takemoto, il n'a jamais vraiment compris ce “besoin” de faire du suicide “une faute ou une valeur”. Ensuite parce qu'il “serait normal de rencontrer une civilisation tout entière où il n'y aurait pas de “mort”!» (P. MONTHÉLIE).

 

Michel TEMMAN, Le Japon d'André Malraux, 1997, 266 pages,135 FF (Editions Philippe Picqier, Mas de Vert, F-13.200 Arles).

samedi, 17 octobre 2009

Le Bulletin célinien n°312

Le Bulletin célinien n°312

Sortie du Bulletin célinien n° 312, octobre 2009.

Au sommaire :
* Marc Laudelout :
Bloc-notes
* Emmanuel Caloyanni : Ralph Soupault et Céline
* Serge Joncour & Camille Laurens : "Voyage" sur l'île déserte
* Omar Merzoug : Hommage à Philippe Bonnefis
* Alexandre Junod : Du "Voyage au bout de la nuit" à "End of the night"
* Roger Nimier : "Nord" de L.-F. Céline (1960)
* Michel Bergouignan : L.-F. Céline, contradictoire et passionné (I)


Un numéro de 24 pages, illustrations. Disponible contre un chèque de 6 € franco à l'ordre de M. Laudelout.

Le Bulletin célinien

B. P. 70

B 1000 Bruxelles 22

Balzac, révolutionnaire conservateur?

HBalzac.jpgDr. Hans-Christof KRAUS:

 

Balzac, révolutionnaire-conservateur?

 

Honoré de Balzac, écrivain français, est né le 20 mai 1799 à Tours et mort le 18 août 1850 à Paris. Après avoir fréquenté l’école à Vendôme, Tours et Paris, Balzac étudie de 1816 à 1820 le droit dans la capitale française. Après avoir obtenu son “Baccalauréat de droit”, il n’exercera finalement que le métier d’écrivain et de publiciste, la plupart du temps sans succès. Bref intermède: il fut éditeur et imprimeur de 1825 à 1827, ce qui se termina par une faillite catastrophique qui l’endetta jusqu’à la fin de ses jours. A partir de 1830, son oeuvre principale, “La Comédie humaine”, cycle de romans, parait à intervalles réguliers. Elle le rendra célèbre et lui procurera le succès. Désormais écrivain en vue, il s’engage politiquement dans le camp des légitimistes à partir de 1832. Mais sa candidature pour le Parlement, qu’on avait prévue, ne fut toutefois pas retenue. En tant qu’éditeur et rédacteur de revues telles “Chronique de Paris” (1836) et “Revue de Paris” (1840), il ne connut aucun succès. A partir de 1841, il dut affronter de sérieux problèmes de santé, parce qu’il travaillait trop mais cela ne l’empêcha pas d’oeuvrer inlassablement à la “Comédie”. Entre deux longs séjours en Russie (en 1847 et en 1849), chez celle qui deviendra  plus tard sa femme, la Comtesse polonaise Hanska, il prit une dernière fois position en politique française en 1848. Peu après son retour à Paris, il mourut d’épuisement, écrasé par le travail.

 

Dans la “Comédie humaine”, Balzac a mis sous une forme romanesque un panorama quasi complet de la vie politique et de l’histoire françaises entre 1789 et 1840. Il subdivisa son oeuvre en “Scènes”: “Scènes de la vie privée”, “Scènes de la vie provinciale”, “Scènes de la vie parisienne”, “Scènes de la vie politique”, “Scènes de la vie militaire”, “Scènes de la vie rurale”. Les figures principales de ces “scènes” sont, notamment, l’écrivain Lucien de Rubempré, qui se surestime et atteint l’hybris, Vautrin, criminel notoire, Rastignac, le carriériste et le courageux écrivain légitimiste d’Arthez. Sous l’influence d’écrits alchimiques, mystiques et magiques, Balzac développa une curieuse “doctrine de l’énergie”, qu’il nous faut comprendre si nous voulons saisir le sens de son oeuvre. Cette doctrine conçoit l’individu mais aussi les Etats, les peuples et les cultures comme des instances porteuses d’énergies. Elle postule dès lors que les plus hautes valeurs sont celles qui maintiennent ou augmentent cette énergie, en faisant preuve de mesure et en assurant les continuités. Dans ce sens, nous pouvons dire que la pensée politique de Balzac  est “un conservatisme énergisant” (comme le remarquera Curtius).

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Les convictions politiques fondamentales de Balzac, d’essence conservatrice et légitimiste, se révèlent tout entières dans l’avant-propos de sa “Comédie” (rédigé en juillet 1842). Le christianisme, en l’occurrence le catholicisme, est pour lui “un système achevé pour refouler les tendances les plus perverses de l’homme et constitue de la sorte l’élément le plus puissant dans l’ordre social”, à condition qu’il soit associé au monarchisme. En toute logique, Balzac rejette ainsi le droit de vote illimité et la domination des masses qui en résulte (il dit qu’elles sont “tyranniques sans limite aucune”). Il écrit: “La famille et non l’individu est le véritable élément social”; expressis verbis, il se range “du côté de Bossuet et de Bonald au lieu de courir derrière les innovateurs modernes”.

 

Déjà dans ses premières brochures politiques de 1824, le jeune Balzac avait brisé une lance pour conserver et consolider le “droit d’aînesse” (in: “Du droit d’aînesse”) et avait défendu l’ordre des Jésuites  (“Histoire impartiale des Jésuites”). En 1830, il se prononce pour une monarchie de constitutionalisme modéré, qu’il dépeint comme un “heureux mélange” de despotisme extrême et de démocratie, bien qu’il voulût plutôt rénover la royauté patriarcale du moyen âge; en 1832, il se range du côté du légitimisme d’opposition, le plus rigoureux, et finit par défendre aussi l’absolutisme pré-révolutionnaire. En 1843, il avait prévu d’écrire un ouvrage politique, glorifiant la monarchie, mais ce projet ne se réalisa pas. Dans les dernières années de sa vie, Balzac se fit l’avocat d’une dictature légitimiste, appelée à rétablir l’ordre traditionnel. Ses orientations politiques demeurèrent constantes: il voulait le retour d’un ancien régime transfiguré.

 

Balzac constatait que les pathologies qui affligeaient son pays, la France, résidaient principalement dans le centralisme et dans le rôle calamiteux du “Moloch” parisien. Bon nombre d’interprètes marxistes de l’oeuvre balzacienne n’ont pas tenu compte des principes éminemment conservateurs de ses idées politiques ni ne les ont compris; en revanche, ils ont bien capté les descriptions et la dénonciation du capitalisme bourgeois des débuts (Lukacs, Wurmser). La critique sévère et pertinente de la modernité, que l’on découvre dans les analyses précises de Balzac sur l’effondrement du vieil ordre européen, reste à étudier et à découvrir.

 

Dr. Hans-Christof KRAUS.

(entrée parue dans: Caspar von Schrenck-Notzing, “Lexikon des Konservatismus”, Leopold Srocker Verlag, Graz, 1996; trad. franç.: Robert Steuckers, 2009).

 

 

"La Mâove" de Jean Mabire vue par Robert Poulet

“La Mâove” de Jean Mabire vue par Robert Poulet (alias “Pangloss”)

 

La mode (relancée) du roman historique coïncide cette fois avec la commémoration biséculaire de la Révolution Française. Il y a donc de la guillotne dans l’air chez tous les libraires et des plumes sur le chapeau de tous les héros qui ne sont pas coiffés de carmagnoles, dans les bibliothèques de gare.

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Evidemment, les “Chouans” de Balzac ont depuis longtemps devancés tout le monde. La véritable histoire, c’est maintenant, dès que le public des figurants, des bourreaux et des victimes s’est réveillé de l’espèce de stupeur somnolente qui accompagne les événements importants. Voir “L’Homme qui n’avait pas compris...”. Jean Mabire, spécialiste français des Paras, des Panzers, des légions antibolcheviques et des chasseurs alpins, n’a pas manqué, tout de suite après les massacres gigantesques et stupides de la dernière Mondiale, plus le grand bâillement hébété qui a suivi comme d’habitude, d’y aller de son intarrisable “il était une fois” accompagné de parabellums et de kalachnikovs.

 

Mais ça ne l’empêche pas, aujourd’hui, puisque tout le monde s’y met, de remonter au Bloc cimenté, par Clémenceau. Et ça se combine pour lui avec “Je veux revoir ma Normandie”, car c’est un Viking très convaincu.

 

Alors tout y est: le Blanc qui vire au Bleu, le Bleu qui blanchit dès que Guillotin sort sa machine, le baron un peu traître et le marquis un tantinet espion, le prêtre assermenté et le chanoine maquisard, la demoiselle en culotte de chasseur du roi qui fait allègrement le coup de feu et sa soeur qui va tuer Marat dans sa baignoire, les méchants hussards qui violent en passant la  grand-mère du châtelain, les généraux qui se mettent la main sur le coeur et ceux qui ont trois chevaux tués sous eux, les fourches, les piques, les volontaires de l’An-Deux, les tricoteuses, les discours où il est question d’Armodius ou du Sacré-Coeur de Jésus, la grande rigolade jacobine, sur laquelle dégoulinent des flots d’hémoglobine. Et ça finit par du Napoléon.

 

Dans “La Mâove”, dont la voilure introduit un peu de fraîcheur au sein de cette histoire éminemment fantassine, vous aurez tout ça ou l’équivalent; plus les couples qui se rejoignent naturellement, dans les granges ou dans les arrière-boutiques. Un tel aime une telle à la folie, tel autre passe d’un camp à l’autre pour plaire à sa dulcinée en bonnet phrygien, telle cinquième reste de glace, malgré les feux qui brûlent tel sixième à l’endroit que je pense.

 

La révolution française, c’est une alternative d’idylles patriotiques et de ferveurs loyalistes. Pour le lecteur qui n’a pas lu Gaxotte, le pendard, et qui ne sait donc pas qu’en réalité ce fut une époque assomante.

 

Dans les provinces normandes, où notre Mabire ne manque pas de mener, fabuleusement, Hoche, Frotté, Cadoudal, Charlotte Corday, toute la figuration ressuscitée et revernie à neuf des bandes dessinées pour grandes personnes médiocrement instruites, ce fut assez confus. Mais  l’auteur des “Samouraï” connaît son métier. C’est le prince des narrateurs dialoguistes et des épisodistes bien renseignés, qui n’a pas perdu un mot de ce que Barras et Sieyès se sont dit en déjeunant ensemble le douze fructidor.

 

Seules réserves: il y a toujours trop de personnages, on s’embrouille et ils parlent trop pour ne pas dire toujours grand-chose. A part ça, un auteur furieusement imaginatif. Ecrivant proprement, sans plus; pas le temps d’être artiste. Il faut que la chose bouge et, en l’occurrence, qu’elle s’achève par le sacre de Bonaparte.

 

Les bateaux, dans les ports normands, hissent le grand pavois, le canon tonne, les amours irrégulières se révèlent, avec de l’anneau-de-ma-mère, les cloches de Notre-Dame sonnent à toute volée. Quel triomphe!

 

Sauf les quinze ans de guerre extérieure qui vont suivre, et les deux siècles de mauvaise paix et de bonne littérature.

 

Celle de Jean Mabire n’est qu’honnête et vivante. L’un des meilleurs échantillons du roman commémoratif. Prenez celui-là, sinon vous allez vous perdre dans la masse. Et la masse, comme toujours, ne vaut rien.

 

Quant à la “Mâove”, elle coule, pavillon haut. Le pavillon danois!...

 

Les Vikings retournent chez eux, faut croire!

 

PANGLOSS

(extrait de “Pan”, Bruxelles, n°2322, 28 juin 1989).

 

dimanche, 11 octobre 2009

L'enjeu esthétique des pamphlets céliniens

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

 

 

L'enjeu esthétique des pamphlets céliniens

 

L'œuvre de Céline suscite un nombre croissant d'études et nous nous en réjouissons. Ainsi, Nicole Debrie, auteur d'un L. F. Céline préfacé par Marcel Aymé en 1961, fait paraître un essai intitulé Quand la mort est en colère. L'enjeu esthétique des pamphlets céliniens. Elle écrit: «Certaines approches se voulant historiques ont cherché à commenter les pamphlets en les mettant en rapport avec l'extrême-droite des années 30. Approche absurde, non sens, qui n'éclaire rien. Céline écrit toujours en réaction à ce qu'il rencontre. Voyage  le montre rencontrant la guerre, les colonies, l'Institut Pasteur... l'Amérique. Les pamphlets le montrent rencontrant la gauche et en réaction contre elle. Le contexte historique est celui du Cartel des gauches et du Front Populaire. Une approche historique se doit donc d'étudier les pamphlets dans leurs rapports avec cette gauche, si l'on ne veut pas se condamner à ne rien comprendre de ces écrits. Cette approche devrait être facilitée par nombre d'ouvrages écrits à la suite de l'ouverture des archives soviétiques —éclairant les années au cours desquelles la propagande soviétique pénètre tous les milieux intellectuels en France mais aussi en Amérique par le biais des hommes d'Angleterre. Etudes propres à montrer que Céline était loin de fabuler ou de se faire le propagandiste de l'extrême-droite quand il signale le rôle des agitateurs à la solde de Moscou. Situons 1e thème de cette étude: l'enjeu esthétique des polemiques céliniennes... Comme le terme d'enjeu l'indique, il s'agit d'une dispute en vue de faire triompher une valeur; ce à quoi Céline attache du prix. Céline se bat. Il se bat au nom de la création, autrement dit au nom de la poésie, au sens étymologique de “faire”, “créer”. Il se bat contre une littérature absorbée par différents types d'imposture. Littérature au service de visées commerciales; standardisation, art robot; littérature au service d'une idéologie, en l'occurence la propagande soviétique en pleine expansion; littérature postiche où l'œuvre est remplacée par des théories, ce qui revient au même que par des idéologies. Bagatelles  proteste globalement contre les imposteurs et les tricheurs. Cette protestation s'accompagne d'une revendication fondamentale, incessante, répétée comme une basse chiffrée: la poésie authentique» (P. MONTHÉLIE).

 

Nicole DEBRIE, Quand la mort est en colère. L'enjeu esthétique des pamphlets céliniens, Editions Nicole Debrie (23, rue du Cherche Midi, F-75.006 Paris), 1997,126 pages, 90 FF. Le livre est en vente aux librairies Duquesnes (27, avenue Duquesnes, F-75.007 Paris) et Touzot (38, rue St. Sulpice, F-75.006 Paris).

samedi, 03 octobre 2009

Rebatet juge Céline

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Lucien Rebatet et Céline

 

Texte paru dans le "Bulletin célinien", n°285, avril 2007

En cette année du cinquantième anniversaire de D’un château l’autre, on ne se souvient guère des polémiques qui ont accompagné sa parution, en particulier au sein de la droite radicale. En témoigne cette réplique de Lucien Rebatet à Jean-André Faucher qui avait attaqué durement Céline dans l’hebdomadaire Dimanche-Matin.

 

   Mon cher J.-A. F.,

 

   Absent de Paris, je viens de lire ton dernier article sur « l’affaire Céline » ¹.

 

   Je ne voudrais pas que ta vivacité et ta générosité puissent faire croire à nos innombrables adversaires qu’il existe entre nous des dissentiments que cette controverse autour d’un livre aurait révélés.

 

   Le lecteur ayant en général la mémoire brève, je pense donc utile de préciser, que dans mon article du mois de juin dernier ², j’ai cherché à expliquer Céline, et que je n’ai jamais eu l’intention de le juger « honorable ». J’ai même souligné que la dignité était un des sentiments qu’il ignore le plus.

 

   Je persiste à croire que Céline ne nous doit pas les comptes qu’il est juste de réclamer à d’anciens militants, toi ou moi, par exemple. Non pas que le métier d’écrivain, que le talent, voire le génie, constituent à mes yeux un alibi, une circonstance atténuante. Au contraire, la responsabilité politique de l’écrivain m’apparaît considérable, et j’ai été, que je sache, de ceux qui l’ont clairement revendiquée pour leur part.

 

   Mais la question serait de savoir jusqu’à quel degré Céline a eu conscience de ses propres responsabilités. (Je ne dis pas : des risques qu’il courait, car sur ce point il était fort lucide.) En tout cas, il n’appartenait à aucun bord. C’était un visionnaire anarchiste, qui se mit à bouillonner de prophéties, presque malgré lui. J’estime qu’il y a quelque excès à parler de reniement pour un homme qui n’a jamais connu ni principes ni drapeau.

 

   Au moment le plus difficile de notre choix, à l’automne 1940, Céline savait déjà que Hitler avait lâché les commandes, qu’il perdrait la guerre, et que notre politique s’engloutirait dans sa catastrophe. Il me l’a dit plus d’une fois, comme à Marcel Aymé, à Ralph Soupault et à d’autres familiers. Rien de ce qu’il écrivit pendant la guerre n’infirma réellement cette conviction. Il est donc fondé à dire qu’il ne fut jamais « collaborateur ».

 

   Tu me répondras qu’il serait plus élégant de se rallier aux camarades vaincus, d’épouser leur cause ; et je suis bien de ton avis. Mais je voudrais savoir à quelle époque on a connu à Céline des élégances et des camarades ? Ce qui me surprend, c’est la surprise aujourd’hui de maints de nos amis qui me semblent avoir attendu longtemps pour découvrir le Céline de toujours, et ses capacités effarantes et contradictoires, tantôt dans l’héroïsme, tantôt dans la fuite.

 

   Pour l’énorme mensonge, à propos de l’antisémitisme, il est d’une telle taille que je me demande qui pourrait s’y tromper. Céline ne nous a-t-il pas avertis lui-même en annonçant qu’il fait un numéro de vieux clown ? Oh ! ce n’est pas reluisant. Mais la dernière idée qui puisse venir à Louis-Ferdinand, c’est bien celle de reluire. J’attribue à cette turlupinade à peu près autant d’importance que les factums que Céline nous adressait à Je suis partout et que nous n’insérions jamais, parce qu’il y préconisait, pour regénérer la France, l’extermination de tous les « Narbonnoïdes », c’est-à-dire toutes les populations au-dessous de la Loire, y compris, mon cher Faucher, ton Limousin et mon Dauphiné ³.

 

   Pour juger équitablement le monstre, il faut l’avoir pratiqué…

 

   Reste la peinture de Sigmaringen. Je viens d’en relire plusieurs pages. Elles m’apparaissent décidément anodines. Je répète que les gens du Système m’ont enlevé tout complexe d’infériorité sigmaringienne. Vainqueurs, repus, toutes les puissances entre les mains, ils sont pires que nous ne l’étions là-bas, vaincus à plate couture, traqués, affamés, divisés. Cette émigration ne fut ni plus ni moins affligeante que toutes les émigrations. Ce qui ne signifie pas que nous fussions beaux à voir… Tu comprendras que je me refuse, maintenant encore, à préciser davantage, pour des raisons et des sentiments qui ont toujours été étrangers à Céline. Mais je puis affirmer que ledit Céline n’a guère touché qu’à l’anecdote, à un pittoresque brenneux, et c’est d’ailleurs, littérairement, le défaut du livre.

 

 

   Tandis que se déroulaient ces farces tristes, des camarades, je ne l’oublie pas, se battaient contre les Russes, un contre cent, à Kolberg. Notre ami Lousteau a dit excellemment, la semaine dernière, tout ce qui convenait à ce sujet 4. Céline, lui, n’a rien dit. Ce silence, dans un livre sérieux, serait atroce. Mais ce livre, c’est à l’un d’entre nous de l’écrire. Les croquis de D’un château l’autre ne me paraissent pas à la taille de l’indignation qu’ils déchaînent.

 

  Je maintiens que je préfère encore le trivial cynisme de Céline, ne voulant parler que de gros sous, aux périphrases et mains sur la conscience d’un tas d’infects commerçants de plume. J’ajouterai que j’entends dans ce cynisme une sorte de « nitchevo » encore plus amer et plus sombre que tout ce que Céline autrefois écrivit de plus amer et de plus sombre. Un vieux prophète perclus et « décheux » en est réduit à faire le saltimbanque — et à le dire — dans une société qui réserve toutes ses admirations et tous ses chèques à ses gendelettres communistes. J’aurais aimé, comme toi, que Céline eût la fierté de rappeler qu’il lui aurait été bien facile de prospérer dans cette bande, qu’l lui aurait suffi d’étouffer, entre 1935 et 1939, ses mouvements d’honnêteté intellectuelle et de civisme. Sans doute Céline n’en est-il plus capable. Il me plaît, en songeant à l’ermite loqueteux de Meudon et à tout ce que je lui dois, d’être de ceux qui le rappellent à sa place.

 

   Quant à la polémique, n’avons-nous pas infiniment d’autres cibles, et plus grosses ?

 

   Je te remercie du brevet de fidélité que tu me décernes. Mais je ne crois pas que mon indulgence à l’endroit de Céline puisse signifier mon désir de « tourner la page », c’est, au contraire, à cette page que mes pensées reviennent sans cesse depuis des années, aussi bien pour y déceler nos erreurs politiques — je ne m’occupe pas de morale dans ce domaine — que pour y relire notre justification.

 

   Que cette lettre me soit l’occasion de dire ici à de nombreux amis que mon plus vif désir serait de republier Les Décombres 5, avec la préface « d’actualité » que tu devines, et que seule la… timidité des éditeurs ne m’a pas encore permis de réaliser cela.

 

   Bien amicalement à toi,

Lucien REBATET

(Dimanche-Matin, 1er septembre 1957)

 

Notes

 

1. Lucien Rebatet évoque l’article de Jean-André Faucher paru le 18 août 1957 dans Dimanche-Matin et intitulé « ...Et que chacun enterre ses morts ». Faucher s’y oppose violemment, et point par point, à la défense de Céline entreprise par Albert Paraz, Lucien Rebatet et Robert Poulet. La semaine précédente, il avait daubé sur l’interview accordée par Céline à L’Express.

J.-A. Faucher, né en 1921, était un journaliste nationaliste, antigaulliste et franc-maçon qui collaborait à plusieurs journaux de droite (Dimanche-Matin, Artaban et C’est-à-dire).

2. Lucien Rebatet, « Un prophète sans emploi », Dimanche-Matin, 30 juin 1957. Article repris dans Le Bulletin célinien, n° 263, avril 2005, pp. 17-21.

3. Céline préconisait plutôt une séparation entre la France du nord et celle du sud. Cette lettre du 15 juin 1942, refusée par Je suis partout, a été publiée dans Lettres des années noires, Éd. Berg International, 1994, pp. 29-35.

4. Jean Lousteau, « Il s’agissait de s’entendre », Dimanche-Matin, 18 août 1957. L’auteur y déplore ce qu’il considère comme un « inutile déballage » dans D’un château l’autre.

5. Ce livre ne fut jamais réédité du vivant de Lucien Rebatet. Une réédition caviardée fut procurée en 1976 par Jean-Jacques Pauvert. À noter que ce livre vient d’être réédité intégralement par les éditions de L’Homme libre.

 

samedi, 26 septembre 2009

Céline et la Suisse

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Céline et la Suisse

Article paru dans le "Bulletin célinien", n°277, juillet-août 2006

Pour la première période, ce thème concerne plutôt Louis Destouches que Céline. C’est de 1924 à 1927 que Destouches, médecin employé par la S.D.N., séjourne à Genève, avec de longues absences aux États-Unis, en Afrique et ailleurs. Son contrat avec la Société des Nations expire en décembre 1927.

L’iconographie ayant également sa place dans ce Bulletin, cela nous permet de présenter les deux endroits où Louis Destouches vécut en Suisse. Lorsqu’il arrive à Genève, il s’installe à « La Résidence », confortable hôtel situé sur la rive gauche, route de Florissant (voir ci-contre). Il y reste jusqu’en décembre 1925, date à laquelle il emménage dans un rez-de-chaussée de trois pièces, chemin de Miremont à Champel, dans la banlieue de Genève. C’est à la fin de l’année suivante qu’il rencontre une jeune Américaine de vingt-quatre ans, venue de Los Angeles, qui séjourne à Genève avec ses parents et suit des cours de danse classique. Il s’agit bien entendu d’Elizabeth Craig qu’il nommera « l’Impératrice », la future dédicataire du Voyage au bout de la nuit. Sans la S.D.N., Céline n’aurait donc jamais rencontré celle qui eut une si grande importance dans sa vie. La liaison dura six ans.

Ces faits sont connus de tous les céliniens. Ce qui l’est moins, ce sont les tentatives de Céline, à l’automne 1944, pour passer d’Allemagne, où il s’est réfugié, en Suisse avec l’espoir de gagner ensuite le Danemark. C’est par l’entremise de son ami suisse Paul Bonny et de son cousin Paul Gentizon – tous deux compromis dans la collaboration parisienne – qu’il tentera vainement d’obtenir un visa. C’est à cette fin qu’il utilisera les services d’un avocat suisse, Frédéric Savary, et qu’il adressera, en janvier 1945, un mémoire au consul général de Suisse à Stuttgart. « Inutile de vous certifier que je n’ai jamais émargé pour un centime ni directement ni indirectement à aucun service allemand », lui écrit-il, ce qui est exact — à la différence précisément de ses amis helvètes. Exilé au Danemark, les liens avec la Suisse ne sont pas rompus. En 1947, il écrit à Marie Canavaggia : « J’ai des amis en Suisse. Gentizon journaliste très distingué, au Lutry, canton de Vaud qui peut m’être très utile et un autre ami beaucoup plus malheureux – Bonny à Genève ». Tous deux tenteront, vainement une fois encore, de le faire éditer par « Le Cheval ailé », dirigé par Constant Bourquin. Céline renoue aussi avec Henri Poulain, ancien secrétaire de rédaction de Je suis partout, également réfugié à Genève. Tous ces personnages, dont la figure la plus connue est certainement Georges Oltramare (voir notice plus loin), sont évoqués dans un livre paru à Lausanne, il y a trois ans, et dont nous donnons les références ci-dessous.

 

 

Marc LAUDELOUT

 

 

 

Alain Clavien, Hervé Gullotti et Pierre Marti, « La province n’est plus la province ». Les relations culturelles franco-suisses à l’épreuve de la seconde guerre mondiale (1935-1950), Éditions Antipodes, coll. « Histoire », 2003, 368 p.

 

 

 

Voir aussi « Témoignage de Paul Bonny sur ses relations avec Céline » in  Louis-Ferdinand Céline, Lettres des années noires, édition présentée et établie par Philippe Alméras, Berg International, coll. « Faits et Représentations », 1994, pp. [54]-86, suivie de la correspondance de Céline aux Bonny. Sur la période antérieure, voir Louis-Ferdinand Céline (Docteur Destouches) à la Société des Nations (1924-1927). Documents, recueil publié sous la direction de Théodore Deltchev Dimitrov, Foyer Européen de la Culture, Genève-Gex, 2001, 502 p.